Pour leur « stratégie » de séduction les artisans de Francs-Tireurs ont des idées. Originales. Un article offert. Waou. À rugir de plaisir. À dégainer sa carte bleue. On ne sera donc pas obligé de deviner quand ça se floute au bout de dix lignes et d’ensuite surfer partout pour dé-briber intuitivement.
Mais alors, là, il y a un problème, un « souci » - et sans doute une réunion, fut-ce en visio, on sait les coûts du présentiel, s’impose-t-elle -, à propos du choix de l’article.
Plusieurs options se présentent.
Il y avait à redouter : la paresseuse manière d’édito, le billet brillant bien vu et drôle. So vingtième siècle. Un coup à se retrouver avec le Giesbert du riche Yann Moix sur les endosses pour enterrer la rubrique comme jadis Hanouna fossoyait les émissions condamnées. Merci bien.
Ce « papier » gratuit doit-il donner une idée de l’ensemble, de la richesse et de la diversité du sommaire ?
Risqué, vaniteux.
Ou miser sur la qualité littéraire de sa rédaction ?
Bof. Au spectacle, le public ne se gêne pas pour sortir sa bouffe ou aller pisser (et parfois même revenir), quand il n’a pas payé, théâtreux et musiciens le savent.
Dieu merci, « L’humour d’Olivia Moore » n’est pas assez bien écrit pour repousser.
Cet article « gratuit » – pas pour le journal qui, on l’espère, n’a pas manqué de correctement rétribuer le pénible labeur d’Olivia avant de nous l’offrir –, ne faudrait-il pas, en toute conscience politique cynique, assumer de l’utiliser pour appâter, tapiner en « survendant » un fait, un scoop, une gossiperie, jusqu’au crapuleux, et ainsi, conjecture-t-on, mécaniquement, par la frustration, susciter l’achat, mieux, l’abonnement (si ce qu’on te montre te file la trique, imagine le reste) ?
« L’humour d’Olivia Moore » a bien des défauts mais ne mérite malheureusement pas ce procès. Il n’est en rien obscène et ne contient rigoureusement aucune info. À part sur celle qui l’a écrit.
Non, ce qui pêche, c’est le titre, qui, à sa décharge, procède du nom de la rubrique : « Caviar pour tous ! : l’humour de Moore ». Ici, donc, l’enjeu, le « sujet », comme disent aujourd’hui dans ma télé les phacochère de toutes obédiences, c’est donc l’humour. Cette plaie. Voyez plutôt.
« Qu’est-ce qu’un salaire juste ? Pour Patrick Pouyanné, le patron de Total, c’est 500 000 euros par mois et pour Kylian Mbappé, c’est de 6 à 8 millions mensuels. Oui, un Mbappé vaut dix Pouyanné. Mais que font-ils de tout cet argent ? Ils bouffent du caviar à s’en faire pousser des branchies ? »
Warf warf. D’un point de vue alphabétique, dans cette mini-liste, Kylian Mbappé en première position eût mieux convenu. Ainsi arrangée, la comparaison-comparution-confrontation des sommes abyssales présente l’avantage de relativiser pas mal le mirobolant émolument du patron Pouyanné.
(On imagine Olivia mimant avec ses mains la croissance de branchies, avec en fond musical une mélopée de série branchée, pendant qu’elle compose son article for free).
« Évidemment, j’ai déjà réfléchi à ce que je ferais si je gagnais des millions au Loto – je m’installe à l’hôtel jusqu’à la fin de mes jours. Mais posons-nous deux minutes : nos deux millionnaires ont certes beaucoup d’argent, mais aussi un emploi du temps qui les empêche de kiffer. »
On ne saurait reprocher à l’humaniste Olivia Moore de se préoccuper de la kiffance des grands de ce petit monde. Il y a des gens dont l’emploi consiste à promener les caniches des riches, Olivia leur gratte le ventre… aux riches.
(Là, elle se voit, pendant qu’elle écrit, en chroniqueuse à Quotidien, avec en face Kylian Mbappé et Patrick Pouyanné. Le facétieux Barthès lui faisant relire à haute voix sa prose tout aussi facétieuse. Elle qui rougit en cachant son nez dans ses mains. Et toujours une musique de série, mais plus distanciée, ironique, comme il se doit, une cover à grattes saturées d’un générique Azoulay).
« Quand dépensent-ils donc leur fortune ? »
Question que je me pose souvent mais à propos des chroniqueurs télé-radio-web-presse-écrite. Ils sont bien moins riches que Mbappé et Pouyanné mais déjà beaucoup trop pour ce qu’ils produisent et apportent au pot commun humain.
« Pour les footballeurs, la réponse est simple : à 35 ans pour profiter de leur retraite. »
Déconnection et hors-solisme. Des dizaines, des centaines, des milliers d’anciens footballeurs à travers le monde continuent d’exister après leur carrière sportive, comme sélectionneurs, entraîneurs, ambassadeurs ou dirigeants de clubs, d’instances, mais aussi comme consultants dans les médias ou consultants tout courts, créateurs de marques, nouvelles icônes auto-gestionnaires de leurs propres rentes… Certes, tous les footballeurs retraités ne la jouent pas aussi utilement que David Beckham, mais tous les footeux en activité n’encaissent pas autant que Lottin ! Ce n’est pas seulement idiot et sous-informé, c’est spécieux, chère Olivia.
1) Le sportif gagne « son » argent - quel que soit le montant (en général défini par un…patron, un Pouyanné) – grâce à ses performances, naturellement aussi grâce à celles de ses coéquipiers, mais pas à celles de ses employés ;
2) les sportifs, en particulier les footballeurs, dépensent communément une large part de leur argent bien avant de prendre leur retraite, et sont désormais des people comme les autres en plus riches ;
3) sourd de cette désopilante saillie une inconsciente, insidieuse et nauséabonde désignation du sportif-trop-payé-forcément-trop-payé comme objectif bouc-émissaire puisque le plus « trop payé » des deux ;
4) ça induit que le patron continue de bosser, sous-entendu lui ;
5) et passe sous silence le fait que si les Mbappé enrichissent les Pouyanné, ce sont les Pouyanné qui versent aux Mbappé leurs salaires.
(Dans la série qu’elle se joue quand elle écrit, là, Olivia est en panne. Elle songe même un instant à aller sur le balcon fumer une clope, alors qu’elle a arrêté, difficilement, il y a quelques mois seulement. Nora Jones ou NTM ? Elle hésite en parcourant ses playlists).
« Pour un chef d’entreprise, « kiffer » se résume à prendre un jet un vendredi soir à minuit pour rejoindre sa baraque en Italie, où l’attendent ses emmerdes domestiques de riche – il paraît que c’est très difficile de trouver du personnel qui ne parle pas de tes culottes à tout le voisinage – et une liaison satellite pour rester au fait des cabrioles planétaires – inondations, guerres, tweets d’Elon Musk – au cas où ça ferait baisser l’action. Retour au bureau lundi 6 heures. Apparemment, ils ne prennent pas tous leurs RTT, les patrons de grosse boîte. »
C’est malin. J’avais les lèvres gercées. Représentez-vous les dégâts qu’occasionne sur elles cet allant caustique - voir ici un clin d’œil appuyé aux marches de l’escalier que gravit le commissaire Maigret pour rentrer chez lui, boulevard Richard-Lenoir. Et sachons gré à Olivia de, comme disait Céline, « mettre sa peau sur la table », en nourrissant son propos de situations, de lieux et de tracas ménagers manifestement observés et collectés in situ, sur le motif, à la faveur d’une existence qu’on devine trépidante.
(Olivia repense à sa chronique en s’ennuyant délicatement au cinéma. Le film l’a perdue).
« Bref, il n’est peut-être pas utile de gagner autant pour être heureux. »
N’est-ce pas qu’on dirait la doucereuse et atroce « final thought » de Jerry Springer ! Dans la vie, au bureau, à l’atelier, des fois on s’aime, des fois, on s’aime moins. Et c’est vrai, malheureusement, partout sur notre bonne vieille terre. Même en Amérique, chers amis !
(Ça y est, Olivia l’a trouvée sa chute ! Dans le uber qui la ramenait du cinéma. En regardant par la fenêtre les si dérisoires lumières de la ville, ces panneaux et écrans publicitaires qui consomment et consument).
« D’autant que l’argent ne sauvera probablement personne de la crise écologique. »
(Olivia se revoit montant l’escalier qui la conduit mensuellement chez son plan cul, au moment où elle se rend compte qu’elle n’a pas eu le temps de se doucher. Pas fière, elle se mordille les lèvres, échancre furtivement le col de son pull, enfouit son nez et fait des grimaces à son amie-caméra imaginaire en refermant son ordinateur. Elle sait bien ce que vaut sa sentence. La suite, sur fond d’Abba en medley et remix divers, la montrera sortant de son immeuble, dans un autre uber, en diurne, dans une ou deux boutiques, en terrasse devant une bibine avec des copines aussi emmitouflées qu’elle, scrutant des comptes twitter et insta, passant voir une vieille ancienne voisine-copine-mortelle dans un ehpad)…
« Je n’envie pas leurs revenus – parce que je n’envie pas leur vie – ».
T’as raison !
«… mais imaginez qu’on indexe le Smic sur la progression des salaires des dirigeants. En 2021, ils ont pris environ 100 %. »
Attention, ça va planer…
« Ne supprimons pas les avantages de certains, donnons-les à tous ! »
Ben oui.
Mais présenté comme ça, bien sûr, ça perd de sa vraisemblance.
Olivia va enfoncer le clou, c’est sûr.
Et puis, non.
« Offrons donc un plan de stock-options à l’ouvrière sur ligne en 3 x 8, voiture de fonction, bonus annuel de 30 % et parachute doré en cas de licenciement. Juste, non ? »
Ben non.
C’est pas ça qui serait juste, Olivia.
Ce qui serait juste, c’est de s’attaquer au système qui produit ce que malicieusement tu décris et dont tu feins de commodément t’indigner – on peut intervertir les deux adverbes sans nuire à la phrase.
Pas pour l’humaniser, le changer à la marge ou sémantiquement à coups de pétition de principe et de déclarations qui n’engagent à rien – qui est pour le chômage, la guerre, les violences faites aux femmes et la faim dans le monde ?
Grégory Protche