Christian d'Alayer - mars 2019
Voici des indices que l'Afrique devrait passer sous silence : ceux de ses marchés boursiers : à voir les chiffres et hors quelques rares pays, y investir revient à perdre ses sous ! Notamment à la bourse d'Abidjan qui a vu fondre plus de la moitié de sa capitalisation en 4 ans ! Sur 10 ans et plus toutefois, l'investisseur reste gagnant dans 5 pays : le Zimbabwe largement en tête (quelle surprise pour ce pays attaqué financièrement par les Anglo-Saxons !), la Namibie, l'Ile Maurice, le Kenya, l'Afrique du sud et l'Ouganda.
Il ne faut toutefois pas crier au loup ! en dehors de l'Afrique du sud, qui a multiplié par 3 ses investissements boursiers en 4 ans, les autres places boursières africaines sont pratiquement toutes débutantes. Le gros des actions cotées concerne les matières premières, les opérateurs téléphoniques et les banques tandis que leur capitalisation totale est très éloignée de celles des pays développés : le New York Stock Exchange totalise 30923 milliards de dollars, et les deux grandes bourses européennes, Londres (3767 milliards de dollars) et Euronext (3927 milliards de dollars) pourraient faire rêver même les Sud Africains !
De plus, l'Afrique reste un continent largement rural et les fermes ne sont pas cotées en bourse, même en Occident. Les investisseurs -il y en a de plus en plus- s'associent en fait au sein de sociétés d'agro-business comme ils les appellent. De plus, ces dernières années, la baisse du prix des matières premières a bien entendu pesé sur la valeur des sociétés minières cotées, notamment en Afrique du sud où, en outre, le coût d'extraction des mines d'or s'est envolé (il faut aujourd'hui creuser jusqu'à 3000 mètres !) Des économies rurales et la baisse du prix des matières premières explique donc en très grande partie les chiffres catastrophiques des bourses africaines ces dernières années. Avec en sus, la panique qui s'est emparée des "investisseurs" : les retraits en dollars ont été partout très importants, accélérant les chutes : la règle d'or des grands boursicoteurs ("on achète au son des canons et on vend au son des clairons") ne peut atteindre les oreilles de gens qui étaient ruraux à plus de 85% il y a un demi-siècle seulement.
En Occident, la valeur des actions est liée aux faibles taux d'intérêt qui rendent peu attractives les obligations. De plus, les grandes banques sont maîtresses des actions qu'elles peuvent encourager ou décourager dans la composition de leurs fonds d'investissement (Sicav et assurances vie notamment) En liaison étroite avec les banques centrales d'importance, elles font tout pour éviter que n'éclate l'énorme bulle financière créée par la libéralisation du crédit. Exercice d'équilibre qui oblige les banques centrales à refinancer régulièrement les banques de dépôts vivotant plutôt que vivant du crédit à taux bas. Et qui sont donc plus que tentées par la spéculation...
Ce n'est pas le cas en Afrique où, à l'exception de Johannesburg, les bourses vivent de la bonne ou mauvaise tenue de quelques dizaines au plus d'entreprises. Les pays africains étant de grands villages où tout se sait très vite, les conséquences d'une baisse de quelques points dans le prix des matières premières sont perçues très vite et, comme toujours, amplifiées par les rumeurs. Les banques centrales et les grandes banques locales n'y peuvent mais : cet effet village accroît paradoxalement la volatilité du capital boursier. En Occident, cette volatilité est plutôt bien vue, cela indique une circulation rapide des capitaux. Mais en Afrique, cela signifie plutôt une fragilité évidente des placements. Or il y a peu d'investisseurs institutionnels sur le continent, banques, compagnies d'assurance et fonds de placement. Si bien que la volatilité y est naturellement plus importante qu'ailleurs. A Johannesburg, on a par exemple plus de 75% des actionnaires qui sont des particuliers ! Et, ce, malgré l'existence de fonds de pension des salariés...
C'est cette structure en fait balbutiante des marchés d'actions en Afrique qui freine leur développement. Car il y a de l'argent à placer, les taux de bancarisation sont toujours très bas malgré l'envol des PIB. Longtemps, les filiales de banques étrangères proposaient des produits de placement étrangers, complété par les fameuses valises de billets qui filaient en Suisse, à Londres et aux Etats Unis. Mais l'attractivité du marché africain d'une part et la lutte anti-corruption de l'autre ont modifié la donne. Aujourd'hui, les Africains investissent chez eux en priorité et, d'abord, sous forme d'auto-investissement. Ce qui entraîne, outre une envolée du bâtiment africain, une multiplication des PME qui, en grossissant, ne pourront plus se satisfaire de cet auto-investissement. Il leur faudra faire appel aux banques qui, aujourd'hui, sont plutôt réticentes face aux structures moyennes (c'est pire pour les petites !) et aux bourses de valeurs. Quand on voit à quelle vitesse se sont constituées les structures d'agro-business au Burkina Faso ou en Côte d'Ivoire, beaucoup avec l'argent des hauts fonctionnaires, on ne peut qu'être confiant dans l'avenir. Le tout est de rassurer une clientèle de possibles actionnaires plus méfiante en Francophonie qu'en Anglophonie, autre évidence montrée dans les deux tableaux. L'influence culturelle des ex colonisateurs sans doute mais on doit noter à cet égard que l'agro-business est né en Francophonie : les nouvelles générations d'Africains sont moins influencées...
D'ailleurs, les nouveaux riches africains ne sont plus des proches du pouvoir ayant hérité ainsi de propriétés minières comme en Afrique du sud. Le plus riche, le Nigérian Aliko Dangote, a fait fortune dans le ciment et investit aujourd'hui dans l'agro-industrie. Son compatriote et ex n°2 africain sur ce plan, Mike Adenuga, a vu par contre sa fortune bâtie sur le pétrole fondre comme neige au Soleil. La famille égyptienne Sawiris a fait fortune dans les télécoms (Orascom) avant de passer à d'autres secteurs. Autre exemple de milliardaires issus de secteurs autres que pétroliers et miniers, l'Algérien Issad Rebrab, d'abord vendeurs d'appareils électroménagers avant de se lancer dans l'agroalimentaire et notamment les oléagineux. En Afrique du sud, le n°1 est bien dans les mines, Nicky Oppenheimer, mais son second est dans l'industrie du luxe (Johann Rupert) Le nouveau président de la République, Cyrille Ramaphosa, a lui-même fait fortune non dans les mines mais dans l'industrie, notamment téléphonique (MTN, premier opérateur africain de téléphonie mobile) Bref, l'Afrique bouge très vite aujourd'hui. En témoigne aussi la confection dans laquelle excellent de nombreuses créatrices et de nombreux créateurs qui exportent de plus en plus et qui ont eu recours à l'autofinancement, dont le financement familial. Ou bien encore la diversification agricole qui échappent totalement aux statistiques mais qui est bien réelle et qui alimente une grande partie du commerce interafricain.
En définitive, on est tenté de dire que banques et bourses sont en retard sur leurs économies et non l'inverse. La croissance africaine leur échappe et le nouvel argent des Africains leur échappe. Faut-il attendre que la population décide de se bancariser et d'acheter des actions ou bien faut-il que les banquiers et responsables boursiers aillent d'abord à sa rencontre ? Et autrement qu'en envoyant une camionnette gardée par des vigiles pour recueillir les billets de banque sur les marchés !
1- Capitalisation des bourses africaines fin 2018 en milliards de $
(Source : le bourses mentionnées)
Stock market |
Capitalisation |
Capitalisation 2014* |
Johannesburg |
1000 |
330,287 |
Casablanca |
60,7 |
55,446 |
Egypte |
43,6 |
63,716 |
Lagos |
30 |
82,813 |
Nairobi |
20,6 |
22,675 |
Ghana |
13,1 |
6,085 |
Tunis |
9,8 |
7,77 |
Zimbabwe |
8,5 |
5,214 |
Ile Maurice |
7 |
7,248 |
BRVM |
5,5 |
11,203 |
* Source : Socfin
2- Performances des bourses africaines en 2018 en %
(Source : www.investinginafrica.net, www.african-markets.com, own adjustments and stock ex websites)
Stock market |
2018 |
3 ans |
5 ans |
10 ans |
Zimbabwe Stock Exchange |
50,40% |
324,10% |
141% |
744,10% |
Malawi Stock Exchange |
22,20% |
47,60% |
19,90% |
nc |
Bourse de Tunis* |
14,75% |
nc |
nc |
nc |
Stock Exchange of Mauritius |
-0,30% |
28,30% |
-5,90% |
147,30% |
Rwanda Stock Exchange |
-5,30% |
-23,90% |
-56,40% |
nc |
S&P500 |
-6,20% |
22,60% |
35,60% |
278,80% |
Ghana Sotck Exchange |
-6,90% |
0,30% |
-42,40% |
nc |
Namibian Stock Exchange |
-10,80% |
34,60% |
37,10% |
177% |
Egyptian Exchange |
-13,80% |
-18,70% |
nc |
nc |
Casablanca Stock Exchange* |
-11,30% |
nc |
nc |
nc |
Dar Es Salaam Stock Exchange |
-14,20% |
-15% |
-22% |
-2,80% |
Lusaka Stock Exchange |
-16,50% |
-15,70% |
-53,20% |
14,30% |
Nairobi Securities Exchange |
-16,80% |
-3,20% |
-13% |
140,40% |
Uganda Securities Exchange |
-17,80% |
-15,10% |
-25,50% |
57,50% |
Botswana Stock Exchange |
-18,30% |
-22,10% |
-29,40% |
-6,60% |
Nigerian Stock Exchange |
-18,60% |
-39,90% |
-66,50% |
-43,90% |
Johannesburg Stock Exchange |
-27,90% |
8% |
-21,70% |
90,10% |
BRVM |
-32,30% |
-40,30% |
-38,30% |
-4,30% |
* En monnaie locale