Siffler, c’est un sport réservé à qui a assez mangé pour faire la fine bouche. Né la même année que PSG, je n’en ai toujours pas les moyens.
Dahleb et Safet ont joué longtemps à Paris, mais pas assez pour que ceux qui en appellent à eux pour cingler Neymar les aient vus évoluer. Sachant que le géant Dahleb aurait préféré signer à Strasbourg plutôt qu’à Paris – il l’a révélé, il y a peu. Et que pour être sûr de ne pas venir, Sušić avait signé dans deux clubs italiens en même temps ! Mis sur le banc par Houllier, régulièrement contesté par les médias et le public, qui jurerait que le bougon Yougo n’a pas, chaque année, ou presque, espéré quitter ce vrai-faux club sans cantine.
Jeu de l’esprit : fermer les yeux et imaginer Coutinho ou Dembele entrer hier au Parc, et en sortir, après un tel but.
Non content d’être le seul à avoir joué dignement, et loin encore de son meilleur niveau – il a bien raté quatre ou cinq dribbles, mal estimé trois passes, pas su se mettre au niveau des appels de Choupo (lol), et raté un lob tout fait !!! -, Neymarvellous a attendu que les sifflets aient presque cessé pour aller planter un but…
Signer un match : PSG-Strasbourg du 14/09/2019 est un match signé Neymar.
Un master but dédié au gamin que son ex vient d’avoir, avec un autre à qui, au téléphone, il l’avait promis la veille.
Et par moi à tous ceux qui lui auront craché à la gueule, ceux qui au lieu de chanter ont sifflé.
Ceux qui (se) racontent des histoires d’amour du maillot – mais lequel ? celui d’automne-hiver pour l’extérieur en coupe de la Ligue ? Le remix customisé de celui de 1983 avec clin d’oeil à Safet-pardon-à-RTL ? Celui qu’embrassait Lorik C. la veille de signer sur le Vieux port ?
De respect pour ce club, dont le proprio est le Qatar, ce bradeur frénétique de Titis, qui achète des stars avant d’avoir un centre d’entraînement digne du rang auquel il aspire et prétend ?
Au Parc des Princes règnent aujourd’hui le pop-corn, les comités d’entreprises, le coca et le pipi tous les quarts d’heures des tout-petits, sans parler des retardataires qui vous obligent à vous lever pour les laisser passer. Même à Boulogne, et de bas en haut. On n’ose allumer une clope, alors un fumigène. Applaudir joyeusement quand un explose en face, à Auteuil, revient à vous faire condamner du regard par une bonne moitié des gens autour de vous. Rire aux banderoles sera bientôt interdit. Les ultras si vertueux, si sensibles, si douillets avec les sorties de Neymar ont tellement bien accepté ce qu’est devenu notre Luna-Parc qu’ils devraient avoir honte de jouer les vierges avec le deuxième anus que l’entertainment nous a tous fait.
Siffler Neymar, c’est comme dénoncer le kebab et la sauce fromagère après avoir laissé pénétrer le Macdo.
On va au Parc aujourd’hui pour se régaler d’un spectacle. Se divertir. S’émerveiller d’entendre le public répondre les noms des joueurs quand le speaker lance les numéros et les prénoms – comme si nous étions encore un « vrai » public populaire et fervent. Se lever quand il y a but pour PSG – tout en scrutant les célébrations. Guetter les écrans géants en espérant s’y voir pour pouvoir grimacer et gesticuler sottement. Tant pis pour nous. Neymar, ainsi que le lieu commun médiatique le commande, « fait le spectacle ». C’est même pour ça que PSG l’a embauché.
Siffler Neymar pour un désir de départ et trois déclarations anecdotiques, c’est le marqueur du supporter parodique, de l’émule fraîchement converti, du yéyé plus barbu que les ayatollahs.
Neymar n’est pas venu à Paris pour nous. Notre amour est en bonus. Il n’a pas eu besoin de nous plaire ou de nous séduire pour se voir offrir un des plus mirobolants salaires de tous les temps.
Au mieux, relativement à nous, il est venu parce que le Parc se cherchait un Prince. N’imaginant pas qu’un autre messie l’y attendrait pour finir de grandir – grâce à lui.
Neymar est évidemment maudit. Donc parisien.
Sera-t-il le Ronnie de Mbappé ? Qui, au soir d’une carrière remplie de si, se souviendra lui aussi avoir porté sur ses épaules un messie peut-être plus petit que lui.
Ces heures de télé plus ou moins novelas qui lui sont consacrées, qu’il pleure, qu’il viole, ou qu’il geigne, ravissent équipementiers et sponsors. Pour QSI, Neymar est de janvier à décembre l’employé du mois. Rien que ça, ça devrait nous rendre indulgents.
Le nombre de gens qui en croquent, de Neymar. Les Eugène Sue 2.0 des Mystères (du mercato) de Paris.
Il manque à Neymar Jr encore une ou deux balafres pour devenir Albator. Secret, mutique et ombrageux. Revanchard taiseux qui va défier les dieux pour se faire aimer d’eux. Pas de nous. Nous, on paye pour faire la claque et se rincer l’œil.
Paraît que Papa Léo, en bout de négo, réclamait en fait 300 millions. Demandez-vous pourquoi.
Il a donné une leçon au Ney, à son clan, au vestiaire. Aux vestiaires du foot européen aussi, volontiers donneurs de leçons aux mains et culs sales. Ponctuée par le délicieux « Ceux qui ne comprennent pas le français n’ont qu’à prendre des cours. » La leçon est terminée. Neymar est au coin… de corner en train saluer après son but.
Avec une équipe moins bonne, il serait Sušić. De mémoire, le même frisson d’espoir s’empare du Parc lorsqu’à 0-0 en fin de match le ballon leur parvient.
Esthétiquement, psychologiquement, moralement, Neymar est parisien.
Je prends les paris. Cavani nous sauvera en quarts. Mbappé nous qualifiera en demies. Mais en finale, la feinte royale, la percée fantastique, la louche suprême et magnifique, ça ne peut venir que de Neymar.
Ou de Verratti.
Ce serait vraiment classe, chic et bien troussé que ce soit cette saison et grandement grâce à lui que la Ligue des Champions soit pour Paris. Nous le méritons. Lui et nous. Nous sommes mûrs. Lui et nous. Il est vexé mais orgueilleux, mal aimé revanchard et justicier blessé, comme il sied à un demi-dieu. Nous sommes courroucés comme des clients déçus. Personne ne nous attend au bout. On ne rit même plus de nous, de nos soucis et de nos gros sous. Pire qu’outsiders. Narrativement, storytellinguement, ça passe crème.
Paris, la ville dont Neymar est devenu le roi. Paris, la ville où Neymar est devenu roi. Au choix.
Grégory Protche