(Ecofin Hebdo) - Une nouvelle forme d’esclavage sévit au Mozambique. Dans un rapport publié en mai dernier, la compagnie britannique Gemfields a dénoncé l’ampleur que prend l’exploitation illégale de rubis dans la région de Montepuez. Longtemps pointée du doigt par plusieurs ONG, cette «ruée vers le rubis» a progressivement pris la forme d’un réseau d’esclavage mettant en danger la vie des populations. Le gouvernement qui tire des millions de ce secteur depuis près d’une décennie, pourrait s’inspirer de l’exemple soudanais qui a su réguler et développer l’exploitation artisanale de l’or .
L’esclavage décrit par Gemfields
Gemfields est la plus grande compagnie opérant sur le rubis au Mozambique. Elle exploite une mine dans le district de Montepuez, région qui hébergerait les plus grandes réserves de rubis au monde. Dans son rapport publié plus tôt cette année, la société indique que le nombre d’effondrements de puits miniers dus à une exploitation illégale de rubis à Montepuez ne cesse d’augmenter, entrainant beaucoup de décès.
« Endettés auprès des syndicats et sans argent en poche, ces mineurs illégaux ne peuvent plus rentrer librement chez eux.»
D’après une enquête réalisée par sa filiale Montepuez Ruby Mining (MRM), les exploitants illégaux, pour la plupart des mineurs, sont «contrôlés par des syndicats et des intermédiaires bien financés qui profitent de leur pauvreté». Ils ne sont pas originaires de Montepuez mais sont recrutés dans d’autres régions du pays par des syndicats qui leur promettent des fortunes. Pour se voir accorder l’opportunité d’aller exploiter le rubis, les mineurs et leurs familles doivent payer des frais, en échange du transport, de la nourriture et du logement. S’ils ne peuvent pas payer ces frais à l’avance, les syndicats leur accordent un prêt qu’ils doivent rembourser plus tard, à partir de l’exploitation de rubis. Ils sont ensuite déployés dans des mines illégales et soumis à des conditions « abjectes et très dangereuses».
Pour se voir accorder l’opportunité d’aller exploiter le rubis, les mineurs et leurs familles doivent payer des frais, en échange du transport, de la nourriture et du logement. S’ils ne peuvent pas payer ces frais à l’avance, les syndicats leur accordent un prêt.
Une fois les pierres précieuses récupérées, elles doivent être « vendues » par l'intermédiaire du syndicat à un « patron supérieur » et le mineur illégal ne reçoit qu'une fraction des sommes impliquées.
«La demande de rubis mozambicains n'a jamais été aussi forte.»
« Endettés auprès des syndicats et sans argent en poche, ces mineurs illégaux ne peuvent plus rentrer librement chez eux et, par conséquent, ils sont effectivement liés par un esclavage moderne », a expliqué Gemfields dans son rapport.
Un secteur vieux d’à peine 10 ans
Aujourd’hui la moitié des rubis vendus dans le monde proviennent du Mozambique, et pourtant le secteur est très récent. La concentration de rubis dans la région de Montepuez n’a été découverte qu’en mai 2009. Cette année-là, Suleimane Hassane, un coupeur de bois illettré a découvert la gemme rouge au bord d’une rivière dans le nord.
Aujourd’hui la moitié des rubis vendus dans le monde proviennent du Mozambique, et pourtant le secteur est très récent. La concentration de rubis dans la région de Montepuez n’a été découverte qu’en mai 2009.
Exploitée au début de manière artisanale, c’est en 2011 que le gouvernement confiera le développement de la vaste concession de Montepuez à la société britannique Gemfields. Le leader mondial des gemmes de couleur, en partenariat avec l’entreprise mozambicaine Mwriti Ltd, a commencé ses activités l’année suivante.
C’est en 2011 que le gouvernement confiera le développement de la vaste concession de Montepuez à la société britannique Gemfields.
Depuis 2014, les ventes aux enchères de rubis provenant du Mozambique se succèdent (à Singapour et Jaipur entre autres), et Gemfields amasse des millions de dollars pour son profit, celui de ses partenaires, l’Etat mozambicain et Mwriti. Les rubis mozambicains ont progressivement remplacé sur le marché mondial ceux de la Birmanie, pays qui exploite la pierre précieuse depuis le XVIIIe siècle.
«La demande de rubis mozambicains n'a jamais été aussi forte. L'industrie a maintenant de plus en plus confiance en un approvisionnement constant et fiable de rubis. On comprend également de mieux en mieux l'origine de la pierre précieuse et la manière dont elle peut être exploitée de manière responsable pour avoir un impact positif sur les pays d'origine ; les rubis mozambicains de Gemfields sont le leader du marché dans ce domaine», s’est réjoui début juillet 2019, Sean Gilbertson, PDG de la compagnie.
L’arrivée de nouvelles sociétés…
Si l’exploitation du rubis mozambicain a été monopolisée par Gemfields dans les premières années, de nouvelles compagnies ont rejoint le Britannique. Pour accaparer 50% de la production mondiale (selon les chiffres de Gemological Institute of America), le Mozambique a pu compter sur le succès de Gemfields pour attirer d’autres sociétés. Ainsi, en 2016, Mustang Resources (qui deviendra plus tard New Energy Minerals) a acquis un permis d’exploitation minière dans la région de Montepuez, tout comme Metals of Africa. Mustang a organisé la première vente aux enchères de ses rubis en octobre 2017.
Il faut également citer Fura Gems, active sur l’exploration de quatre permis de rubis dans le district de Montepuez dans la province de Cabo Delgado, permis qu’elle détient à 80%. Constituée en 2006 et basée à Toronto (Canada), Fura Gems est une compagnie listée sur la bourse TSX-V.
Réguler l’exploitation artisanale pour mieux contrôler ?
Les populations de Montepuez ont mal vécu l’arrivée des compagnies étrangères. Dans cette région pauvre du Mozambique, les locaux ainsi que des habitants de régions alentour se ruent par milliers dans la concession de Montepuez pour extraire illégalement le rubis. Ils voient en cette richesse du sous-sol une solution pour sortir de leur pauvreté et lutter contre le chômage.
Une solution pour sortir de la pauvreté.
«On n’arrêtera pas parce qu’on n’a rien d’autre. Il n’y a pas de travail au Mozambique. On est ici parce qu’on sait qu’il y a du rubis. Certains d’entre nous étaient des voleurs avant, mais après avoir trouvé des rubis, ils ne veulent pas retourner à leur vie d’avant», déclare Leão Leonardo Vaneque, mineur illégal dans des propos relayés par Africa News. Cette déclaration traduit à elle seule la ténacité de ces populations qui bravent tous les jours police et forces de sécurité des compagnies pour pénétrer les concessions privées.
Dénoncée par plusieurs ONG du fait des mesures de répression qui violent les droits de l’homme, la situation persiste jusqu’à aujourd’hui. Si l’Etat mozambicain a longtemps opté (sans succès) pour la répression, la nouvelle forme d’esclavage dénoncée par Gemfields pourrait être l’occasion idoine de penser à d’autres options.
«On aimerait que le gouvernement autorise notre activité. On pourrait chercher des rubis ici et les vendre au gouvernement qui à son tour les vendrait à des pays étrangers. C’est ce qu’on veut. On ne veut pas être chassés avec des armes, mis en prison. En ce moment, on travaille dur pour récolter assez d’argent pour payer pour la libération de nos amis en prison», déclare Zulu, un autre mineur illégal.
«On aimerait que le gouvernement autorise notre activité. On pourrait chercher des rubis ici et les vendre au gouvernement qui à son tour les vendrait à des pays étrangers. C’est ce qu’on veut.»
La solution de la régulation semble envisageable, car elle pourrait permettre au gouvernement mozambicain de lutter contre la contrebande et de tirer ainsi encore plus de profits du secteur. En outre, elle permettrait d’encadrer plus cette activité et de limiter les risques que courent les mineurs illégaux. En plus de résoudre le problème des pertes en vies humaines, d’autres questions comme le chômage et la pauvreté peuvent être combattues.
Le Mozambique pourrait s’inspirer du Soudan, qui a réussi à contrôler l’exploitation artisanale de ses ressources aurifères et devenir le deuxième producteur d’or d’Afrique.
Le Mozambique pourrait s’inspirer du Soudan, qui a réussi à contrôler l’exploitation artisanale de ses ressources aurifères et devenir le deuxième producteur d’or d’Afrique. Toutefois, il faut rappeler que si le Soudan est un exemple, d’autres pays comme le Ghana ou la RDC ont également du mal à gérer l’exploitation minière illégale, ce qui interroge sur la faisabilité d’une décision de régulation.
Louis-Nino Kansoun