Initialement paru sur le site Virage le 25 juin 2018
Creusons jusqu’au (soi-disant) saint-thomasisme : tant que je ne l’ai pas vu évoluer en grenat, il est encore là. Délestons-nous des ultimes sacs de sable qui nous empêchent, mongols fiers que nous sommes, de nous évader de la réalité :
tant qu’il n’a pas joué – et donc marqué – contre nous : il est encore là.
Le mec avec qui je réalise mes vidéos et lectures audio depuis plusieurs années s’appelle Pascal Pastore. Mais l’honnêteté me commande d’ajouter que c’est le chevalier Reijasse qui me l’a présenté.
Regarderai-je les matches de la Roma la saison prochaine ? Bien possible. Mon côté midinette.
Possible en revanche que je me prive d’un Roma-PSG à la télé.
(Au Parc, j’irai l’applaudir à son entrée.)
Pastore, c’était mieux que notre pasteur, c’était notre étoile du Berger. Il ne nous indiquait pas la direction à suivre mais d’où nous venions. El Flaco : un fanal dans le rétro.
C’est vrai, je l’aurais préféré la saison prochaine napolitain plutôt que romain. Ancelotti et Javier chez Lavezzi, Cavani et Maradona. Javier adoubé, protégé et célébré par la camora.
Ou alors sous les ordres d’un Bielsa.
Je vais pouvoir commencer à autopsier comme des reliques les matches que Cavani et Pastore ont disputé ensemble à Palerme. Y traquer les indices, les esquisses et les brouillons.
Si j’avais treize ans, serait-il mon joueur préféré ? Pas sûr. Javier, c’est un joueur pour les enfants déguisés en adultes, pas pour les futurs adultes que sont la majorité des enfants.
Ah si Messi avait pesé pour le faire sélectionner… L’Argentine serait tout aussi éliminée, mais nous aurions eu trois desserts de plus à succuler dans la divine solitude de l’esthétisme sentimental.
Il a beau être arrivé dans les mallettes des Qataris, Javier Pastore a toujours incarné sous le maillot parisien le PSG d’avant, celui fragile et pluvieux des inconstants et glorieux anciens. A se demander si ce n’est pas le fantôme de Borelli qui en sous-main a tout réglé avec Palerme.
Les vrais chéris du public parisien – qui ne se trompe jamais. Un peu Verrati. Beaucoup Cavani – surtout si c’est contre Neymar le qatarien. Et Pastore à la folie. Pastore à Paris ! Pastore à Paris ! Pastore à Paris ! A part nous, qui pouvait offrir ça au monde réel libéral occidental : un public qui réclame qu’on garde un mec qui ne joue jamais, déçoit à peu près tout le temps et ne trouve pas sa place ? C’est notre honneur et ma fierté de supporter parisien. Pour ça que je nous aime.
Tout type qui a scandé une fois le nom de Javier Pastore est mon frère d’âme.
Virage m’a demandé un onze type transhistorique qui m’a permis de les associer : Safet Susic et Javier Pastore. « Safet », prononcé avec l’accent d’el Flaco. « Javier », avec celui de Sarajevo.
C’est vrai que Diego a dit de lui qu’il était mal élevé ? Quel compliment.
Si j’étais un des entraîneurs que j’admire, ferais-je signer Javier Pastore ?
Tostao en veut à Ronaldinho de n’avoir pas gagné les trophées et certains matches clés qui lui auraient assuré une place de choix auprès du Roi. On ne peut même pas dire ça de Javier Pastore.
Rien non plus d’un auto-destructeur anarcho à la George Best.
Pastore n’est pas rebelle, il est beau.
N’imaginez surtout pas convaincre un dubitatif, un moqueur ou un franchement hostile. Pastore, c’est émotif, immédiat. Faut avoir quitté le rationnel, avoir vérifié que le ridicule tuait mais ressuscitait aussitôt le fervent qui n’a pas besoin de preuves puisqu’il croit. Nous croyons à l’existence de Javier Pastore et vouons un culte à ses passes aveugles, ses louches et ses petits ponts.
Des fois, je mate sur youtube son but contre Chelsea rien que pour réentendre le commentaire. Grisant comme la première minute d’une des versions live d’Eruption d’Eddie Van Halen – celle où il fait des ronds de fumée en bluesant beachboysement avant de se mettre à tappinguer et que je décroche.
J’ai beau chercher, je ne trouve pas un nom de joueur à qui le faire ressembler. Peut-être chez les Argentins jamais expatriés… La même « lenteur » que Riquelme ? Mais tellement plus de grâce, de sensibilité et de légèreté chez Pastore.
Comme toujours : l’essentiel n’est pas qu’il s’en aille, mais qu’un jour il soit arrivé.
Javier « Indéfendable » Pastore. Même pas complètement artiste. Il n’en a ni l’ego, ni la détermination, ni les ambitions, ni surtout la cruauté. Un esthète. Un dandy. Un aphoriste qui ne se recueille pas. Pastore ne laisse pas de traces mais des souvenirs. Un agréable regret. Notre dernier fils à tous, nous les oldtimers, qui nous semble heureux tel qu’il est. Sans doute lui avons-nous rêvé des finales triomphales en club ou en sélection, parce que nous voulions être heureux grâce à lui aux yeux du monde, que celui-ci constate, admette et se soumette. En vieillissant on s’améliore et se satisfait de jouissances secrètes : l’incompréhension des non-esthètes et des adeptes de l’efficacité. Ceux qui veulent des titres, alors que nous savons qu’il ne reste en fait à la fin des fins que des instants. Les gosses se touchent encore un peu avec les scores et les ballons d’or, mais à part l’auteur, le journaliste et le chercheur, qui relit les bilans et les palmarès ?
Question de sondeur qui ne sera jamais posée : quel pourcentage de Pastoriens chez les adversaires de l’introduction de la vidéo dans l’arbitrage ?
Mille dollars que dans la vie Pastore dribble les incidents, les gêneurs et les obstacles avec la même grâce maladroite et déséquilibrée de l’un peu trop grand un peu trop maigre aux jambes caricaturalement arquées. Il y en a qui écrivent comme ils parlent, Pastore joue comme il vit. Ou le contraire.
Le pire, c’est qu’il n’en fait jamais trop. Econome de son art il serait plutôt. Cherchant les trajectoires inédites, les angles inexplorées, il tente peu et réussit donc beaucoup, proportionnellement.
Pareil. On pourrait le supposer fils à sa maman capricieux. Mais c’est pas le genre à réunir la famille pour faire admirer son caca. Il a moins d’états d’âme que de regrets. D’où ce petit sourire triste qui rappelle effectivement Géraldine Maillet. Ibra le broyait, Neymar occupe sa bande de terrain. Même entre les deux, on ne lui a jamais laissé les clés du jeu. Bref, en 2007 ou 2008, nous l’aurions fait dieu.
Javier a un côté célinien aussi. Pas social ou politique. Stylistique, littéraire : Céline concédait ne pas pouvoir laisser la phase tranquille, Javier ne peut se résoudre au linéaire. Revoyez ses buts sous nos couleurs. A part les reprises consécutives à des centres ou passes empêchant par leur puissance le contrôle de trop… à chaque fois ou presque, d’un ultime déhanchement, d’une mini feinte de frappe il interdit à la balle d’aller tout droit, d’aller là où avec tous les autres elle va. Le une-deux académique se ferait, disons, du plat du pied, pour le un et pour le deux. Jamais vu Pastore ne pas glisser là-dedans un extérieur ou un talon. En changeant les courbes au gré de ses inspirations, il cachète et signe les actions.
Il y a un mec aux Cahiers du foot – il se reconnaîtra -, supporter de l’OM – y’en a des bien ? – et oeuvrant dans la communication, qui a décidé de se faire grand prêtre du « Pastorisme ». Entre newagisme inoffensif esthétisant et décroissance car la décroissance sera un business comme les autres. Je ne mésestime pas la dimension ironique que donne l’accent phocéen au concept. Mais ai eu du mal à résister au nom que ce garnement barbu s’est donné pour monter son église : « Monseigneur dit Flaco ».
Et puis, comme vous tous, je vais oublier de l’oublier.