Corruption à la CPI : Pour une enquête confiée à un organe externe
Dr. David Matsanga a publié une vidéo dans laquelle la Cour pénale internationale (Cpi) est gravement mise en cause, relativement à des allégations de corruption.
La vidéo accuse la juge Sylvia de Gurmendi, actuelle Présidente de la Cpi, d’avoir reçu des virements de fortes sommes d’argent sur ses comptes personnels. Elle aurait agi en bonne intelligence avec l’ex procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo. Cet argent aurait été utilisé par le bureau du procureur pour corrompre des témoins et les utiliser pour élaborer de fausses accusations contre le président El Bachir. La vidéo met en évidence une connivence entre les procureurs et les juges de la Cpi et indexe des ONG, pas seulement dans les réseaux de corruption de la Cpi, mais aussi comme agents de déstabilisation de certains gouvernements.
La supplique du Dr Matsanga, auteur de cette vidéo, est « qu’une commission d’enquête soit mise sur pied » pour conduire des investigations sur tous les continents concernés (Amérique, Europe et Afrique) parce que « la corruption ne doit pas être autorisée à la cour pénale internationale ».
Avec documents à l’appui, une lettre a, en conséquence, été adressée à diverses personnalités dans le monde dont le président de la Cpi, le président de l’Assemblée des états parties de la CPI, le responsable des enquêtes de Interpol, le président de la Commission de l’Union Africaine, et des personnalités de divers pays (Kenya, Royaume Uni, Afrique du Sud etc.)
La CPI a déjà réagi par le biais de son porte-parole Fadi El Abdallah, pour indiquer que ses plus hauts représentants rejettent catégoriquement ces allégations. Elle précise notamment que « le Mécanisme de contrôle indépendant de la CPI (MCI) a conclu que « la plainte ne concerne, en son essence, que la Présidente de la CPI et a également conclu que les allégations à son encontre sont totalement fausses, et qu’elles sont, au moins en partie, le fruit d’une falsification. L’examen conclut qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour justifier une enquête complète sur ces allégations ». Précisons que le MCI est un organisme indépendant créé par l’Assemblée des États Parties en tant que mécanisme d’inspection, d’évaluation et d’enquête pour la CPI.
L’objet de mes propos n’est pas de jeter l’opprobre sur qui que ce soit, et ils ne se basent sur aucun a priori. Ils visent à contribuer à lever tout doute sur ceux qui sont appelés à juger les hauts dirigeants qui leur sont déférés pour jugement. Pas qu’ils soient au-dessus de tout soupçon, mais que l’on puisse établir que leur jugement passé, actuel ou futur ne peut en aucun cas avoir été influencé par des considérations liées à l’argent.
De ce point de vue, l’enquête interne qui a, en partie, livré ses secrets, ne peut satisfaire notre curiosité. Pourquoi se contenter uniquement de la Présidente alors que bien d’autres personnes au sein de cette instance sont incriminées ? C’est notamment le cas de la procureure actuelle, Fatou Bensouda. Pourquoi l’enquête ne prolongerait-elle pas par rapport à l’ancien procureur Luis Moreno Ocampo ?
Certes, à un journaliste ivoirien (Matt de BOUABRE) qui l’interrogeait sur le point de savoir pourquoi Luis Moreno Ocampo n’exerçait pas de plainte en diffamation s’il ne se reconnaît pas dans ces accusations, le porte-parole de la cpi avait donné la réponse suivante : « concernant l’action de M. Ocampo, comme il n’est plus le Procureur de la CPI, je ne dispose pas d’information sur les possibles dispositions qu’il aurait prises. Cette question devrait lui être adressée directement ».
Manifestement, cette réaction est une insulte à notre bon sens. Car, c’est bien dans l’exercice de ses fonctions de procureur de la CPI, que le sieur Luis moreno Ocampo aurait posé les actes de corruption dont il est accusé. Il appartient à la Cpi de requérir sa réaction après des accusations d’une telle gravité qui entachent la réputation de cette institution. C’est proprement scandaleux de laisser croire qu’à partir du moment où le procureur n’a plus de fonction officielle au sein de l’institution, la Cpi ne se préoccupe plus de ce qu’il pourrait faire. Dans ce cas, pourquoi continuerait-il d’être couvert par les immunités (qui, du reste, peuvent être levées) ? Supposons un seul instant que son impartialité peut être prouvée dans l’une quelconque des affaires qu’il a pu traiter, la Cpi laisserait-elle cette affaire en l’état, alors même que le Statut de Rome dispose que le Procureur ne peut participer au règlement d’une affaire dans laquelle son impartialité pourrait être raisonnablement mise en doute pour un motif quelconque (art 42 par 7) ?
Et, il ne s’agit pas d’une hypothèse saugrenue. En 2012, après l’acquittement de l’ex-premier ministre kosovar Ramush Haradinaj, l’Albanie et le Kosovo ont réclamé l’ouverture d’une enquête sur Carla del Ponte, procureure du TPIY de 1999 à 2007, soupçonné d’avoir abusé de ses pouvoirs en portant des « accusations infondées ». Il motivait sa demande par les affirmations d’un ex-procureur à La Haye Geoffrey Nice, qui avait confié que « Mme del Ponte savait que les preuves contre M. Haradinaj étaient insuffisantes pour l’incriminer ».
Et puis, le Mécanisme de contrôle indépendant de la CPI a beau revendiquer une indépendance, elle demeure une structure de la Cpi, dont les membres sont permanents. Or, la vidéo accuse plusieurs membres du personnel de la Cpi d’être impliqués dans le réseau de corruption. Pour l’enquête interne qu’elle a eu à conduire, la Présidente de la Cpi n’a même pas osé démissionner, pour ne pas interférer dans celle-ci, comme il est d’usage et comme plusieurs journaux l’ont demandé.
Dans un tel cas de figure, une enquête menée par un organe externe à la CPI n’aurait-elle pas été plus crédible ? Surtout après les réactions de l’Etat du Soudan. Plusieurs de ses officiels, y compris le chef de l’Etat Omar El Bachir, ont confirmé les allégations de corruption. Devant un parterre de chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Ligue arabe réunis au sommet de Nouakchott à la fin du mois de juillet 2016, le chef d’Etat soudanais a affirmé que la CPI est «minée par la corruption … et nous disposons de documents pour en apporter les preuves réelles», faisant état de cette vidéo justement.
Dr David Matsanga a suggéré « une commission d’enquête comme celle du tribunal de la Yougoslavie où le procureur a été traduit en justice ». En effet, en 2010, les juges du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avaient ordonné une enquête indépendante sur les pratiques de ses propres procureurs, dont Carla Del Ponte (encore elle), après des plaintes de témoins qui soutenaient avoir été harcelés, payés, maltraités et leur témoignage falsifié. Les allégations portées contre elle concernaient particulièrement les méthodes de travail de son équipe d’enquêteurs : offre d’emploi bien rémunéré aux États-Unis ou de réinstallation en échange de témoignages favorables à la poursuite, privation de sommeil au cours des entrevues, pression sur psychologique, menaces de poursuites de témoin en cas de refus de témoigner, ou encore des paiements illégaux d’argent, etc., pratiquement les mêmes critiques rapportées dans la vidéo.
Une enquête menée par un organe externe nous paraît une option d’autant plus souhaitable que maintenant que des allégations de corruption ont été révélées, nous avons des raisons de nous interroger sur certaines attitudes très curieuses de la CPI, dans la conduite de ses procédures. La question lancinante est de savoir pourquoi dans tous ces conflits, les personnes qui sont soupçonnées de travailler en collusion avec les forces impérialistes ne sont jamais poursuivies par la CPI, en dépit des crimes qu’ils ont perpétrés ? Le vaste réseau de corruption évoqué par Dr Matsanga qui impliquerait les procureurs, les juges, les ONG et certaines ambassades occidentales, expliquerait-il cette attitude ?
Si la Cpi veut retrouver sa crédibilité et son honneur, elle doit permettre à un organe extérieur de faire la lumière sur ses pratiques.
Dr Kouakou Edmond
Juriste et consultant
PS : ci-dessous la vidéo évoquée en début d'article par l'auteur