Au moment où reprend le procès Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI), son épouse Simone Gbagbo retourne également devant les juges à Abidjan. Nous sommes allés à la rencontre de Rodrigue Dadjé, avocat principal de l'ex-première dame, pour comprendre les enjeux de ce nouveau procès contre sa cliente.
Propos recueillis par Daouda Coulibaly
Ivoire Justice : Pourriez-vous nous expliquer de façon simple les charges qui sont retenues contre votre cliente ?
Rodrigue Dadjé : Pour faire simple, Simone Ehivet Gbagbo est poursuivie aux assises actuellement pour, dit-on, avoir fait tuer des gens qui habitent en Côte d'Ivoire. Le terme générique c'est « crime de sang ». Aussi, il y a des classifications de ces crimes de sang qui partent du fait que vous vous soyez battus avec une personne qui est morte ; ou vous avez poignardé quelqu'un ; ou encore vous êtes fâchés contre votre voisin donc vous voulez le tuer. Il y a donc plusieurs niveaux.
Lorsqu’il s’agit de plusieurs personnes, on parle de crime contre l'humanité.
I.J : En quoi ce nouveau procès sera-t-il différent du dernier procès en assises ?
R.D : Les assises passées concernaient des crimes politiques : atteinte à l'autorité de l'Etat, organisation de bandes armées, etc. Et nous sommes allés à ce procès en pensant qu'on allait avoir une justice équitable et transparente.
Malheureusement, il a commencé de façon déséquilibrée. Il faut savoir qu’un procès en assises, c'est trois magistrats professionnels et six jurés civils. Les jurés sont choisis par le ministre de la justice. Vous allez constater que les jurés choisis par le ministère de la justice étaient à 80% de la même origine ethnique. Alors qu’on est censé juger des gens qui se seraient organisés pour tuer des personnes de cette ethnie.
Dans un pays où il y a 60 ethnies, il n'est pas techniquement possible pour un souci de justice et d'équité que 90% soit composé d’une seule ethnie. Du coup, on se dit que le juré a été spécialement fabriqué pour venir juger des gens avec des appréhensions.
Cette année encore, pour les crimes de sang, sur les 36 jurés sélectionnés, 28 sont de la même ethnie. C'est dire que le gouvernement ivoirien est dans sa logique de rattrapage dans tous les domaines.
I.J : L'observateur lambda pourrait vous répondre que la défense de Madame Gbagbo n’est aussi composée de personnes de même origine…
R.D : Ce n’est pas pareil. Laissez-moi vous expliquer. Le client choisit l'avocat qu'il veut. Il peut même prendre sa femme si cette dernière est avocate. Cela fait partie de ses droits.
Mais, quand le gouvernement qui sort d'une crise et dit que la réconciliation va passer par la justice, décide de juger les gens pour que cette justice se fasse dans la transparence, on ne peut pas prendre une seule ethnie sur 60 pour composer 80% des jurés. Je trouve que ça pose vraiment un problème.
Je pense que la liste des jurés devrait être représentative de tous les Ivoiriens. Excusez-moi de le dire, ce gouvernement est partial. Il est là pour un groupe politique et ethnique.
I.J : Est-ce à dire que vous allez au procès déjà vaincu ?
R.D : Je ne vais pas vaincu, mais ce que je pense c'est que ma cliente a 90% de chance de se faire condamner, qu'elle soit innocente ou pas. Et c'est ce qui est vrai.
L'objectif pour moi, dans ce procès, c'est de montrer que ma cliente est un personnage politique. Elle rend compte au peuple de Côte d'Ivoire. L'objectif, pour nous, c'est qu’elle soit face au peuple ivoirien pour dire sa part de vérité. Nous n'attendons rien de la décision des magistrats, parce qu’ils sont déjà conditionnés.
Aujourd'hui en Côte d'ivoire, il n'y a aucun magistrat capable de prendre une décision qui contrarie le pouvoir ivoirien. Même les demandes de mise en liberté provisoire qui sont soumises à la compétence du juge d'instruction doivent être validées préalablement par le gouvernement. Pourtant, sur papier, il est indépendant. Il n'y a plus d'indépendance de la justice. Il n’y a pas de séparation de pouvoirs.
I.J : Que pense Maître Dadjé de cette situation ?
R.D : Le magistrat rend la décision qu'il veut. Si un magistrat veut entrer dans l'histoire de la Côte d'Ivoire penché, debout ou couché, c'est son problème. Car les décisions qui sont rendues aujourd'hui vont entrer dans l'histoire de la Côte d'Ivoire. Ce gouvernement va passer et il passera. Mais, l'histoire retiendra qu’à une époque de la Côte d’Ivoire, il y a des magistrats qui ont rendu des décisions de mauvaise qualité.
Nous avons de très bons magistrats. Malheureusement, nous avons une justice aux ordres. Surtout pour tous les dossiers politiques.
I.J : Où se trouve Simone Gbagbo ? Et comment va-t-elle ?
R.D : Ma cliente est incarcérée à Abidjan et elle s'accroche.
I.J : Dans ce nouveau procès en assises, Simone Gbagbo est-elle seule à être jugée ?
R.D : Je peux dire oui et non. Je dirai non parce que les assises, c’est un ensemble de plusieurs procès dans lesquels chaque prévenu aura son procès à lui. Lors des dernières assises, c'était tout le monde dans un seul procès. Cette fois-ci, c'est un gros procès ou chacun a son dossier. Et elle a son dossier à elle seule.
Madame Gbagbo a été sortie de la masse des pro-Gbagbo qui sont poursuivis afin de la juger, elle seule, pour des crimes de sang.
I.J : Quel impact ce procès en assises peut avoir sur la procédure de la CPI ?
R.D : Ce procès est fait sur mesure à cause de la CPI. Ce n'est pas une question d'impact, il n'est fait que pour la CPI. Pour preuve, ils ont sorti Madame Gbagbo des autres personnes poursuivies pour la juger à titre exceptionnel. Afin qu'elle soit jugée et qu’on puisse dire à la CPI : « Nous l'avons jugée. Vous ne pouvez plus la juger pour les mêmes infractions ».
Et ce n'est pas une interprétation de Maitre Dadjé. C'est ce qui a été dit par la justice elle-même.
I.J : Quels sont les attentes de Dadjé Rodrigue pour ce procès ?
R.D : Le gouvernement dit que ce procès est équitable, impartial et qu’il va nous emmener à la réconciliation. Si tel est le cas, j'ai un vœu : je souhaite que pour cette réconciliation tant prônée, qu'on retransmette le procès de madame Gbagbo sur les chaines de la télévision nationale, pour que tous les Ivoiriens puissent se faire leur propre idée sur la culpabilité ou non de Simone Ehivet Gbagbo.
Que le gouvernement n'ouvre pas seulement les portes du tribunal, mais qu'il ouvre aussi ce procès à tous les Ivoiriens par le canal de la RTI (Radiodiffusion télévision ivoirienne, ndlr). S'ils veulent vraiment la vérité, qu'ils laissent chaque ivoiriens entendre ce que madame Gbagbo a à dire.
La session d'ouverture du second procès en assises de Simone Gbagbo s'est déroulée ce 6 mai. L'ex-première dame de Côte d'Ivoire sera jugée à partir du 31 mai pour crimes de sang et crimes contre l'humanité par la Cour d'assises du tribunal d'Abidjan.