Depuis plus de deux ans, l’enquête judiciaire française ouverte sur la société Pefaco, spécialisée dans l’hôtellerie et les jeux, très implantée en Afrique, avançait en toute discrétion. Elle a finalement conduit les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIFF) chez l’industriel Vincent Bolloré.
Vendredi 8 avril, la tour Bolloré à Puteaux (Hauts-de-Seine), siège notamment du groupe Bolloré Africa Logistics, a fait l’objet d’une perquisition sur commission rogatoire des juges d’instruction financiers Serge Tournaire et Aude Buresi. A cette occasion, le bureau du PDG, Vincent Bolloré, alors en déplacement en Bretagne, ainsi que celui du directeur général et du directeur juridique du groupe, ont été visités par les enquêteurs. Une opération qui est venue donner une tout autre dimension à l’enquête initiale. Les policiers se demandent en effet aujourd’hui si le groupe du milliardaire breton a utilisé son bras publicitaire, Havas, pour faciliter l’obtention de la gestion des ports de Conakry en Guinée et de Lomé au Togo. Dans un communiqué, le groupe Bolloré indique mardi «qu’il n’a entretenu et qu’il n’entretient aucune relation avec la société Pefaco et ses dirigeants ».
Le cadre d’Havas qui mène les enquêteurs à Bolloré
C’est en effet de façon incidente que les magistrats ont été amenés à s’intéresser aux affaires africaines du groupe Bolloré, présent dans 46 pays du continent où il s’est imposé dans la logistique portuaire. Plus précisément en se penchant sur l’entregent de Francis Perez, président du groupe Pefaco.
Cette société française, basée à Barcelone, entretient des liens étroits avec plusieurs figures corses de l’univers des casinos, ainsi qu’avec certains chefs d’Etat africains tels les présidents togolais Faure Gnassingbé et congolais Denis Sassou-Nguesso. Francis Perez compte par ailleurs parmi ses relations un certain Jean-Philippe Dorent, dont le nom apparaissait déjà dans le signalement Tracfin – le service anti blanchiment du ministère des finances – qui avait provoqué l’ouverture de l’enquête préliminaire en juillet 2012. «Je connais M. Perez tout comme je connais plein de monde en Afrique et ailleurs», précise au Monde M. Dorent.
Jean-Philippe Dorent est un des cadres dirigeants de Havas, puissante société de communication détenue aujourd’hui à 60% par le groupe Bolloré, où il est chargé du pôle international. Très actif en Afrique, il s’est notamment occupé en 2010, pour le compte d’Havas (alors détenu à 32,9% par Bolloré), de la campagne présidentielle guinéenne du candidat Alpha Condé, rentré de son long exil parisien au cours duquel il s’était lié d’amitié avec l’ancien ministre des affaires étrangères, son camarade de lycée Bernard Kouchner, et avec Vincent Bolloré. «Il est exagéré de dire qu’Havas a fait la campagne. En tant que consultant, j’ai fait du conseil, ce qui est mon métier, souligne M. Dorent. Et on a plutôt bien conseillé Alpha Condé que je considère comme un ami et une figure de la lutte africaine contre la dictature et contre l’apartheid.»
M.Dorent a aussi eu la charge d’une partie de la communication du jeune président togolais, Faure Gnassignbé, fils de Gnassingbé Eyadema, resté plus de trente-sept ans à la tête de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.
En février 2014, puis en février 2015, les policiers ont effectué plusieurs perquisitions sur son lieu de travail dans les locaux d’Havas, sixième groupe publicitaire mondial, présidé depuis août 2013 par Yannick Bolloré, 36 ans, le fils du PDG. Ils y ont mis la main sur des éléments qui n’ont plus forcément de liens avec Pefaco et ses casinos africains mais qui ont conduit aux perquisitions menées le 8 avril au siège du groupe Bolloré.
Les conseils de M. Dorent et de son groupe Havas pour la campagne électorale ont-ils facilité l’octroi à Bolloré Africa Logistics des concessions portuaires de Conakry en Guinée et de Lomé au Togo? A ce titre, le cadre de l’information judiciaire ouverte en novembre 2013 a été élargi au début de l’année 2016 aux faits de «corruption d’agent public étranger».
Politique africaine et obtention des ports
En novembre 2010, Alpha Condé accède à la magistrature suprême à la suite de la première élection libre du pays, qui sort de cinquante-deux ans de régime autoritaire.
Dans la foulée, en mars 2011, la convention de concession du terminal à conteneurs du port de Conakry, octroyée en 2008 pour une durée de vingt-cinq ans à Getma, filiale du groupe français Necotrans, spécialisé dans la logistique portuaire en Afrique, est rompue. Alpha Condé confie alors la gestion du port à son «ami» Vincent Bolloré. Une bataille judiciaire est alors engagée par Necotrans en France et une longue procédure arbitrale est engagée.
«C’est un fantasme que de penser qu’un coup de main à la campagne d’un candidat à la présidentielle qui faisait figure d’outsider comme Alpha Condé permettrait l’obtention d’un port», balaie M. Dorent.
Au Togo, le groupe Bolloré a remporté en 2010 – année de la rééléction de M. Gnassingbé – la concession du terminal à conteneurs du port de Lomé pour une durée de trente-cinq ans. Une décision elle aussi contestée, cette fois par un autre concurrent. Jacques Dupuydauby, ancien associé de Bolloré au Togo, a multiplié les recours judiciaires pour dénoncer les conditions dans lesquelles il considère avoir été évincé. Contacté, Olivier Baratelli, l’avocat du groupe Bolloré n’a pas souhaité faire de commentaires. De son côté, le groupe Havas n’a pas donné suite à nos sollicitations.