Le cinéaste malien Souleymane Cissé a invité la diaspora à la projection de son dernier film, O Ka, au Cinéma des Cinéastes, Place Clichy, dans le 18ème arrondissement de Paris, le mercredi 17 février dernier, à 11h. Debout devant l’écran, il a expliqué que son film raconte une histoire personnelle, mais que c’est une histoire qui peut arriver à chaque Malien, à tout moment.
O Ka signifie «notre maison» en langue soninké. Ce film raconte le combat de sa famille maltraitée par un conflit foncier que personne ne comprenait. Sa famille avait fait toute sa vie dans une maison à Bozola, un des plus anciens quartiers de Bamako. Les parents, les grands-parents et leurs parents, avant eux, y avaient fait leur vie.
La famille possédait tous les documents officiels qui le prouvaient. Mais un jour, on est venu leur dire que ce n’était pas leur maison, qu’il fallait que les quatre sœurs âgées sortent. Le ciel leur est tombé sur la tête. Ils ne comprenaient pas. Les choses se sont enchainées, de tribunal en tribunal, jusqu’au jour où ils ont reçu l’acte notarial d’expulsion. Souleymane Cissé avait eu l’idée de réaliser un film sur ses sœurs, mais là, il n’avait plus le choix, il allait faire un film sur cette histoire de foncier.
«Grâce au soutien exceptionnel du chef de l’Etat malien d’aujourd’hui, le tournage du film a pu être finalisé. Grâce à ses amis, et particulièrement à Patou, O Ka a été présenté au Festival de Cannes 2015, dans la catégorie hors compétition, sélection “séances spéciales”», a indiqué Souleymane Cissé. Qui a prévenu ceux qui étaient venus assister à la projection de O Ka que c’est «un film intimiste, mais très profond, car c’est un film sur nos sociétés».
Bien sûr, le film relate la souffrance que sa famille a subie pendant plusieurs années à cause de gens mal intentionnés qui voulaient s’approprier leur concession, mais pas seulement. «Partout, il y a des gens qui meurent parce qu’ils sont humiliés au fond d’eux-mêmes. Autrefois, on ne supportait pas d’être humilié. On disait plutôt : la mort que la honte.
Mais cette expression a perdu son sens au Mali, et c’est bien dommage. Ce film s’adresse surtout à la nouvelle génération et aux suivantes. Il faut qu’ils sachent que tant qu’il n’y aura pas la justice, rien ne pourra se faire dans notre pays. Ce film est un combat pour la justice. Il faut espérer qu’il pourra être vu au Mali, mais on risque de se heurter à ceux qui voudront le piétiner», a clamé le cinéaste.
Avant et après la projection, Souleymane Cissé a invité ceux qui étaient dans la salle à parler de la question du foncier au Mali. Ils ont témoigné. Leur propre famille au pays est touchée par des menaces d’expulsion. La gestion du foncier interpelle tous les Maliens. Quand une famille est menacée, la justice demande des preuves de propriété. Or, la société malienne est basée sur l’oralité.
Les familles vivent dans leurs concessions depuis des générations, tout le monde le sait : les chefs de quartiers, les chefs de village peuvent le confirmer, mais des gens mal intentionnés sortent soudainement des documents assez récents qu’ils brandissent au tribunal pour prouver le contraire. Des individus très organisés arrivent en masse dans la maison ou sur les terrains, ils font peur et si, en face, les gens ne sont pas assez solides, ils sont «morts».
Tous les jours, on entend des papas et des mamans expliquer qu’ils ont été spoliés par d’autres qui ont acheté de faux documents et des faux témoignages pour les jeter dans la rue. Les familles mettent toute leur énergie, leur combativité, leur persévérance pour prouver qu’elles sont dans leur droit.
Après des années de lutte, certaines, comme celle de Souleymane Cissé, y parviennent. D’autres, peut-être parce qu’elles n’ont pas assez d’envergure et de soutien moral pour continuer à se battre, finissent par baisser les bras face à l’adversité. Elles tombent dans le désarroi le plus profond, car «il n’y a pas de plus grande détresse que celle d’un être face à l’injustice».
Au Mali, il y a des villages entiers qui ont été vendus, et les villageois ignorent que leur village a été vendu. Il y a des quartiers entiers de Bamako qui ont été vendus, et les gens du quartier ne le savent pas. La terre a été vendue et les populations ignorent que leurs parcelles agricoles ont été vendues. Pourquoi l’Etat a-t-il tout vendu ? Pourquoi les populations n’ont-elles pas été consultées ?
«Le foncier est la bombe à retardement qui va faire exploser la République», murmure-t-on. Tout le système y est mêlé, car la corruption règne. La société est minée par la soif de l’argent. Les gens y perdent leur âme. On se bat pour la justice, mais il faut que tous les Maliens acceptent la justice, car il y a toujours un perdant et un gagnant. «La gestion du foncier doit être mise au cœur des prochaines élections». «La grande Histoire commence toujours par une petite histoire.
Cette histoire de foncier est une petite histoire parmi les mille autres» qui font tanguer le Mali. L’impunité ne peut pas durer, les gens sont fatigués, les jeunes ne peuvent plus supporter cette situation. «Si l’Etat ne fait pas attention, cette question du foncier sera le prochain problème du Mali, ce sera pire que la guerre, ça va exploser. Tout pouvoir qui humilie les ancêtres des gens doit s’attendre au pire ; car, même en temps de guerre, on n’humilie pas son ennemi».
Souleymane Cissé a été félicité, car son film est au cœur du problème du pays. Il a été remercié pour son travail, car O Ka rappelle les valeurs fondamentales de la société malienne, seules capables de permettre au Mali de se sortir enfin des turbulences actuelles.
Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter