Poète, cinéaste, écrivain, militant communiste ; Pasolini était cela, en plus d'être ce que ces mots omettent. Il fut assassiné au mois de novembre 1975, dans les conditions que l'on sait (dix côtes fracturées, nez écrasé, foie déchiré, cœur éclaté, révéla l'autopsie) — il y a donc quarante ans. Nous tenions à lui rendre hommage en consacrant les quelques articles de la présente semaine à l'œuvre, du moins à certains de ses traits, de cet homme qui se décrivait comme un « soldat sans solde », un « volontaire dont on ne voulait pas ». Ouvrons-la avec Pierre Adrian, auteur d'un récit paru le mois dernier, La Piste Pasolini, aux éditions Équateurs. Son Pasolini n'est pas forcément le nôtre ; et c'est cela aussi, sans doute, Pasolini.
« Lire ne suffit pas », écrivez-vous. Vous avez ressenti le besoin de vous rendre, pour mieux approcher Pasolini, sur certains lieux de sa vie. Quelle est la limite des mots ?
Quelque part, Pasolini écrit que certaines choses se vivent seulement. Ou si nous voulions les dire, il eût fallu le faire en poésie. Certains auteurs nécessitent qu'on parte sur leurs traces. J'écris ainsi que les lire ne suffit pas. En partant regarder Pasolini au plus près, j'ai voulu exprimer rationnellement ce qu'a d'irrationnel ma fascination pour lui. Les mots n'ont de limites que le point qui les arrêtent net, et les déchirent en des phrases. Mais leur réception est sans limites.
Vous assumez, très honnêtement, votre « goût naïf » pour les martyrs : Pasolini est Pasolini, aussi, parce qu'il est mort dans les conditions que l'on sait. De même que Jean Sénac ou Garcia Lorca. La mort violente donnerait-elle la vie éternelle ?
Plus qu'une mort violente, une vie violente donnerait la vie éternelle. La mort de Pasolini est brutale parce que son existence l'était. Ses mots, sa mélancolie, son appétit pour la vie, ses fugues. Le danger permanent conduit au danger ultime. « Poète assassiné » ; prenez ces deux mots. Et bien, le premier est plus violent que le second. La poésie torture davantage qu'un passage à tabac. Vous évoquez Jean Sénac. Si, par « vie éternelle », on entend postérité, alors les circonstances de sa mort n'ont rien apporté à son œuvre. Jean Sénac est un grand oublié...
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