#SiJétaisComplotiste1
Je serais subjugué par la soudaine acuité de perception, l’inédite subtilité dialectique et la science consommée des médias et élites - spécifiquement françaises – dont font preuve les Daeschiens. Merde, qu’est-ce qu’ils nous connaissent bien, nous, nos trouilles, nos fantasmes, nos angles morts et nos gloseuses muppets.
Prendre une vedette à la fois de Youtube ET de Ruquier comme Michel Onfray et la récupérer pour de faux… quelle lumineuse idée de buzz. A laquelle jusqu’à maintenant seuls les directeurs directeur d’hebdo parisien avaient songé !
Daesh inspiré par Franz-Olivier Giesbert et Barbier le Servile ?
Avant la vidéo d’Onfray, à quoi se résumait la communication, le storytelling daeschien ?
Des textes de revendications voués à être résumés par les journalistes. Que leurs rares lecteurs, en une inversion sémantique saisissante, osent tenir pour plus « politiques » que « religieux », alors qu’ils ne sont tragiquement ni l’un ni l’autre : mais qu’est-ce que la politique, la lutte des classes, le dumping social ou la question de l’héritage pour une groupie de Daesch ?
Des clips à la limite de l'indigence formelle.
Des mises à morts sanguinolentes, aussi guignols et cheap que grandiloquentes.
Des scènes de training-camp.
Des cadavres traînés façon western par un 4X4 digne d’un connard du rap.
Des ONG-iens donnant dans l’humanitaire barbu, comme les Guillaume sortis de grande école s’améliorent le profil en rationalisant les coûts pour l’Unicef en bout de cursus.
Peace corps, my sweet honey love.
On était loin d’Einseinstein, de Goebbels, des Sept mercenaires ou de Sergio Leone.
Avant, pendant et après les séquences d’attentats, de massacres de masse, les vidéos daeschiennes présentent l’incommensurable avantage de permettre de revendiquer à peu près tout ce qu'on veut. Qui va traduire ce qu'elles disent ? Gilles Kepel ? Parle-t-il seulement arabe ?
(Parenthèse, avec le spécialiste de l’Afrique, le spécialiste du monde arabe, de l’islam ou du terrorisme, c’est médiatiquement synonyme, est la pire des engeances que CNN et ses sœurs aient inventées.)
(Parenthèse 2. En sociologie médiatique, on peut aussi considérer la récente notoriété de Kepel comme l’aboutissement d’une carrière longtemps passée à envier Sifaoui, le dénicheur d’islamistes reebookés, Fourest, la fausse sceptique, Jacquard, la vieille belle qui disait « Bin Laden », ou l’épouvantail Antoine Sfeir.)
Qui a réellement besoin de savoir ce que les vidéos daeschiennes nous disent… pour l’usage qu’on en a. Elles font trame, images d’arrière-plans. Elles sont le fond vert du grand film du choc de civilisation.
Pas besoin d’être complotiste, même pas debordien, pour comprendre qu’en termes de récit, et Daesh et l’impérialisme occidental ont les mêmes besoins : terroriser, installer un climat de terreur.
D’un côté, on montre ses biscotos d’effrayeur de la Blancherie, de bourreau des fragiles, des victimes, des faibles qui ne croient plus en rien, meskine.
De l’autre, on s’arme nationalement (comme Adolf au moment de relever l’Allemagne), se flique, s’étatdurgencise.
Hollande fait la grande Bush.
Alors pourquoi impliquer Michel Onfray ?
Pourquoi cette fois raffiner le message ?
Pourquoi changer de flacon vu l’ivresse qui règne déjà ?
Pourquoi ajouter du cérébral au stomacal ?
Pourquoi tuer Charlie et seulement détourner Onfray ?
Pourquoi parasiter et compliquer une communication jusque-là assez simple et signifiante pour être largement relayée par les médias dominants et les réseaux sociaux – qui, chacun l’a compris, sont comme la télé US, habilités à montrer des gorges tranchées, mais pas du cul.
Pourquoi se faire chier à sous-titrer un intellectuel français en arabe ?
Pour toucher, scandaliser, émouvoir ou rallier qui ?
Les musulmans du reste du monde qui ne parlent pas français et ignorent tout de l’hédoniste libertaire partisan d’étatiques assassinats ciblés qu’est Onfray Bogart, ainsi que l’a surnommé le vieux complice de Clouscard François de Negroni ?
Les nôtres, nos Français de confession musulmane, comme on dit avec précaution, nos Arabes - car en France, depuis la guerre d’Algérie jamais l’Arabe n’a cessé d’être LE musulman - qui pourraient être séduits par certaines saillies d’Onfray – et donc aveugles et sourds à certaines autres ?
Mais alors pourquoi traduire en arabe ? Même les plus cons et cancres d’entre eux parlent français comme Onfray et les Bourdin qui lui tendent le micro !
Certes, sur la Toile, Onfray fait partie des grosses bites qui coalisent les audiences des télés grand public et des chaînes infos, mais aussi les « partages » des clashs sur Youtube, Facebook et Twitter. Il a des défenseurs acharnés et des ennemis fidèles. Certainement aussi des trolls. C’est une marque. Catégorie voiture-balais du web, il ratisse large. Et fait du chiffre.
Chez les intellos, en nombre de vues, l’écrivain standard, le romancier, l’essayiste, le biographe n’existent pas. Je veux dire : s’ils ne frayent pas avec le scandale, la politique, le racisme, le communautarisme, le complotisme ou l’anti-complotisme.
Demandez à Collard le libraire à houpette de la télé, qui peine à dépasser les 300 vues de moyenne pour ses centaines de vidéos consacrées aux rentrées et sorties littéraires, alors qu’il est lui-même plus connu que les auteurs qu’il recense.
En statistiques Youtube, il en va des Daeschiens comme des Soral, Dieudonné, Zemmour, Finkielkraut, Ramadan, Philipot ou… Onfray : bien malin qui pourrait distinguer au point de les qualifier scientifiquement les pros et les anti, qui tous au final, parce que ça ne coûte rien d’autre que du temps, contribuent aux succès de vidéos qui, lorsqu’elles ne disparaissent pas (censure, droits d’auteurs non respectés, signalements poucaveux), continuent, les noms-clés et les thèmes captifs évoluant peu, d’accumuler des vues par centaines quotidiennement durant des lustres.
Le temps, même médiatique, existe peu sur Internet pour le rescapé de SEGPA ou de CPPN qui tombe après un spliff sur les illuminatis, le Bilderberg, la Trilatérale, les coups d’états afro-français, Vergès dans le film de Schroeder, Valls par Ratier, la maçonnerie talmudo-takfiro-souffistiquée ou le satanisme de Léon Bloy authentifié par un gros connard imperméable à la littérature, à la grandeur et à la mystique et même pas cathocu, donc concerné, pour finir…
Tous les théâtreux et artistes de spectacles vivants le savent, pas pire public que celui qui ne paye pas. Il entre et sort de la salle quand il veut. Pour un oui dire ou pour un nom de scène. Il a rien casqué, il n’en veut pas pour son oseille.
Combien de temps peut tenir un gavé de playstation, de films de boul’ ou de clips de rap devant une obscure conférence mal sonorisée et sans post-production ? Pas plus qu’un néo-barbu dans une mosquée où on prêche en arabe seulement.
Qui sont-ils ? Que cherchent-ils ? Que veulent-ils… Que font-ils de tout ce qu’ils digèrent sur Internet ?
Les cliqueurs compulsifs attirés par le souffre, les abymes et les gouffres ; les fans de films d’horreur, de jeux vidéos et de séries bizarres ; les journalistes 2.0 ; les cathos inexaucés convertis dont la côte n’a jamais été si haute sur le marché de la Beurette à voile ; les chercheurs ; les intrigués de passage qu’aimantent le nom d’un Mouloud Achour ou d’un Jamel Debbouze astucieusement injuriés dans le titre ; les citoyens honnêtes qui se penchent dessus au moins une fois pour se faire une religion ; les membres d'autres obédiences ; les anciens attirés qui ont raccroché et checkent pour voir où ça en est ; les dingues et les paumés en quête d'émotions ; les petits Blancs froussards qui recherchent dans ces musulmans sanguinaires le souvenir de l’Arabe bien Français qui leur fit à l’école la misère…
Combien d'irréductibles adversaires de Soral ou de Dieudonné matent avidement CHACUNE de leurs vidéos ?
En storytelling comme en langue de Todd, on est effectivement passé de l’arabophobie populaire des années 80 à l’islamophobie contemporaine des classes moyennes.
Les cathos zombis, si l’on en croit Todd, sont généralement issus des classes moyennes de province. Comme la majorité de la population qu’on retrouve au Bataclan et en terrasse des cafés du Onzième le vendredi soir. Pas plus petit bourgeois péquenot de souche que le bobo parisien qui a pas encore accédé aux IXème ou au XVIIème de l’après place Clichy.
Je fus sociologiquement chassé par eux de ma rue de Charonne au milieu des années 90. Repoussé vers la gare du Nord, la plus belle du monde. Je les connais. Je les ai pratiqués aussi plus tard en maison de disques, dans la presse et la culture.
Gentryfication, on appelle ça : des fenêtres qui se murent, de nouveaux commerces et un beau jour on voit un couple de graphistes gays multicolores et récents propriétaires se tenir par la main à la jonction des rues de Charonne et de Bagnolet.
Plus « populaires », plus « multi-culti », les kamikazeries programmées au Stade de France ont foiré : les bobos sont donc bien ce coup-ci, si ce n’est les cibles, au moins les principales victimes de Daesh.
Je sais bien, y’avait des Noirs et des Arabes dans le Onzième le vendredi 13 novembre 2015. Et donc parmi les cadavres. Et même sûrement quelques Blancs prolos.
Dites-vous que :
soit ils étaient de passage (les loyers du Onzième les font tous fuir à la fermeture des rades) ;
soit ils pratiquent un islam suffisamment light, distancié, critique, contextualisé ou Heineken pour, salutairement, ne plus représenter qu’eux-mêmes…
Ah oui, s’ils ne pratiquent pas, et si on ne les essentialise pas en les réduisant, en les assignant à la condition de musulman, à part racialement, ethniquement, si vous y tenez, ils cessent d’être des « musulmans » - catégorie par ailleurs inexistante socialement et non reconnue par la République. Ils deviennent des Bobos dans la foule. Des banlieusards marrons. Des évadés de la petite ceinture à l’islam zombi eux aussi. Des Français.
Au nom de Dieu – un des 99 noms qu’Allah se donne -, frapper les bobos et leur religiosité éteinte, je poursuis avec Todd, c’est la certitude de stimuler moins l’arabophobie de mon grand-père mort en 1994 que l’islamophobie de tellement d’anciens de mes amis, relations et connaissances, tous par ailleurs parfaitement humanistes, insoupçonnablement droitsdelhommards et antiracistes inconditionnels jusqu’à Charlie et, surtout, le Bataclan.
Onfray n'a aucun pouvoir réel. Au mieux lui aussi une relative influence. Il dénonce certes la guerrière politique étrangère de la France, mais oublie, en bon intello blanc, qu’en Côte d’Ivoire aussi la France est intervenue militairement.
Près de cinquante fois en cinquante ans sur le continent.
Le petit deGaullasse Villepin, si fier de dire merde à Bush et Powell à l’ONU et si prompt aujourd’hui à poser en diplomate opposé aux armes : en 2003, il imposait par la force à un président élu de meurtriers terroristes analphabètes, sans aucune légitimité politique ou populaire, dans son gouvernement ; et, en 2004, la partition de fait de la Côte d’Ivoire. Avec en dommages collatéraux la mort, toujours classifiée, de neuf soldats français, la destruction de la flotte ivoirienne, la prise de l’aéroport d’Abidjan, une tentative de putsch et un carnage (plus de 60 morts) devant l’Hôtel Ivoire.
Villepin est un cynique. Onfray un innocent qui change de graal, de lune et de priorité au gré de ses avancées. Fils de prolo, entrepreneur autodidacte de sa propre carrière, il n’est pas contradictoire, il est circonstanciel. Et antipathique, donc bon, en télé.
Il faut suivre de très près les élites intellectuelles françaises pour diagnostiquer que celui que Daesh devait embrasser pour le tuer, le vampiriser jusqu’à l’en rendre suspect et muet, celui qu’il convenait de xalamiser en l’halalisant, c’était Michel Onfray.
Pas Emmanuel Todd. Il s’est mis trop de gens à dos avec son livre sur Charlie. C’eût été illisible.
Pas Zemmour, Obertone, Renaud Camus, Richard Millet ou le fou du Puy Villiers. Trop caricaturaux.
Pas BHL ou Finkielkraut. Trop caricaturés.
Pas Nabe. Comme tout le monde, les Daeschiens ont compris que ce vieux matou au bassin moins méditerranéen qu’ardissonien essayait de se refaire une mauvaise réputation sur leur dos. Pas assez de followers.
Pas Dieudonné ou Soral. Qui leur assureraient pourtant un confortable strike chez les complotistes, dissidents, cassos et freaks qui les suivent.
Mais pas davantage non plus Tariq Ramadan, Kamel Daoud, Malik Chebel, Dounia Bouzar, Tahar Ben Jelloun, Yamina Khadra, Tareq Oubrou, Safia Azzedine, Boualem Sansal ou Houria Bouteldja.
Non, Michel Onfray. Only and just Michel Onfray.
Storytellinguement parlant, en demandant à Hollande l’arrêt des frappes militaires sur Daesh et, plus généralement, sur les pays musulmans, Onfray est devenu l’ennemi dialectique des Daeschiens, qui ont besoin d’être attaqués pour fonder leurs positions, homogénéiser leurs troupes, répliquer, communiquer et exister.
Faire taire Onfray. Moix en rêvait. Daesh l’a fait.
Texte / Grégory Protche