![Grâce à la #CPI, un concours de génies en herbe est organisé en Côte d'Ivoire...](https://image.over-blog.com/-c9ehdVp-wAgsHAF5tWpyBnqk3Y=/filters:no_upscale()/image%2F1051457%2F20151115%2Fob_38523b_jean-michel-beaucher-1.jpg)
11 novembre 2015 - 15:58
Jean-Michel Beaucher représente la Cour pénale internationale (CPI) à Abidjan. À la faveur du dernier le rapport de l’ONG Human Rights Watch sur le travail de la Cour en Côte d’Ivoire, il a accepté de répondre aux questions des followers d'Ivoire Justice.
Propos recueillis par Daouda Coulibaly
Ivoire Justice : Pouvez-vous vous présenter et nous dire le travail que vous faites en Côte d’Ivoire ?
Jean-Michel Beaucher : Je m’appelle Jean-Michel Beaucher et je suis le coordonnateur chargé de la sensibilisation du bureau de la Cour pénale internationale (CPI) en Côte d’Ivoire depuis la mi-octobre 2014. Mon rôle consiste à établir un dialogue entre la CPI, qui est située à La Haye aux Pays Bas, et les communautés affectées par les crimes sur lesquels la Cour enquête en Côte d’Ivoire. Je travaille également à mieux faire comprendre le fonctionnement de la CPI.
IJ : De nombreux ivoiriens que nous avons interrogés disent ne pas savoir que la CPI a un bureau à Abidjan. Qu’est-ce qui explique cela selon vous ?
Le bureau du Greffe de la CPI à Abidjan est composé d’une équipe restreinte. Malgré le dynamisme de notre équipe et tous les efforts que nous déployons pour mieux faire connaître la Cour, il nous est impossible de rencontrer chacun des Abidjanais et des Ivoiriens. En outre, les activités conduites dans les locaux du Greffe requièrent une certaine discrétion car elles visent principalement à faciliter le contact avec les autorités et la coopération avec la Cour et non à recevoir le public.
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IJ : Quelle est votre réponse aux dernières remarques de Human Rights Watch (HRW) sur le travail de votre unité en Côte d’Ivoire ? Êtes-vous prêts à entreprendre des changements ?
JMB : [Le rapport de HRW, publié en août 2015] soulignait notamment le manque de ressources humaines (par exemple, le fait que le Coordonnateur chargé de la sensibilisation n’ait été déployé qu’en octobre 2014, soit trois ans après le début de l’ouverture de l’enquête), les ressources limitées pour soutenir les actions de sensibilisation ainsi que la politisation de certains médias écrits qui gêne les efforts que la Cour déploie pour rejoindre une population plus vaste.
C’est avec beaucoup d’attention que nous avons lu ce rapport. Les points de vue de la société civile sont toujours pris en compte dans le développement de programmes de sensibilisation de la Cour et, dans la mesure du possible, nous prenons toujours en considération leurs recommandations afin d’améliorer notre travail. Il s’agit effectivement de contraintes qui se posent au travail de sensibilisation. Nous sommes bien conscients de cela et c’est pourquoi nous faisons tout en notre possible pour travailler en synergie avec la société civile afin de maximiser les résultats en matière de sensibilisation. Par exemple, nous avons créé un partenariat avec le Projet Jeunesse pour les Droits Humains, un collectif comprenant 13 ONG locales et qui a été mis sur pied afin de supporter les efforts de l’unité de sensibilisation pour rejoindre la jeunesse ivoirienne en Côte d’Ivoire. Tout récemment, nos efforts combinés nous ont permis de réaliser un projet de concours de Génies en herbe auprès de 450 jeunes Ivoiriens. Les finales de ce concours seront radiodiffusées sur les ondes de plusieurs radios de proximités pour toucher un plus vaste auditoire. Ce projet n’aurait pas été possible sans l’implication et la mise en commun des ressources de plusieurs structures et la volonté de nombreux bénévoles.
IJ : HRW encourage les États parties de la CPI à donner plus de fonds pour que l'Unité de sensibilisation puisse faire un meilleur travail. Êtes-vous d'accord avec cette demande ? Vous pouvez nous donner une (ou plusieurs) raison(s) pour lesquelles il faudrait soutenir votre unité ?
JMB : Les organisations doivent nécessairement travailler dans les limites de leur budget. Au vu de nos ressources actuelles, nous avions décidé que la meilleure façon de procéder serait d’édifier des partenariats avec d’autres organisations afin de mettre nos ressources en commun et de maximiser les résultats au niveau de la sensibilisation.
IJ : Êtes-vous totalement libre de faire votre travail en Côte d'Ivoire ? Les autorités ivoiriennes, ou d'autres acteurs, vous ont-ils déjà posé des problèmes ?
JMB : Je fais mon travail en toute liberté, indépendance et impartialité. Je n’ai jamais subi de pression de la part d’une personne ou de la part d’une institution. Au contraire, les personnes et les organisations que je rencontre se montrent très intéressées par la Cour Pénale Internationale et son fonctionnement. Elles se disent heureuses d’obtenir des informations directes sur la Cour.
IJ : Deux camps se sont affrontés durant la crise en Côte d’Ivoire. Pourquoi, jusqu’à ce jour, il n'y a qu’un seul camp qui est poursuivi ?
JMB : La Cour a émis 3 mandats d’arrêt publics. Il s’agit des mandats à l’encontre de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et de Simone Gbagbo. Bien entendu, les enquêtes du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale en Côte d’Ivoire se poursuivent et comme l’a souvent rappelé le Procureur de la Cour Mme Bensouda, dès qu’elle aura récolté suffisamment d’éléments de preuve pour demander l’émission de nouveaux mandats d’arrêt, elle le fera.
Il est important de rappeler que, alors même que la justice doit être rendue de manière transparente, les activités d’enquêtes en cours doivent, quant à elles, rester confidentielles. Le Bureau du Procureur a par ailleurs annoncé qu’il intensifierait au cours de l’année ses enquêtes concernant les autres parties aux violences post-électorales.
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IJ : Selon vous, ceux qui pensent que la CPI pratique une justice des vainqueurs ont-ils raison ?
JMB : Ce n’est évidemment pas une opinion que je partage. Comme je le mentionnais précédemment, les enquêtes du Bureau du Procureur de la CPI se poursuivent et Mme Bensouda a répété à plusieurs reprises qu’elle demanderait l’émission de nouveaux mandats d’arrêt dès qu’elle aura suffisamment d’éléments de preuve pour le faire.
IJ : En 4 ans, la liberté provisoire a été refusée neuf fois à Laurent Gbagbo. Sur quoi se base la CPI pour lui refuser cette liberté ?
JMB : Les juges de la CPI prennent leur décision en toute impartialité et en fonction des textes juridiques appartenant à la Cour. Dans ce cas-ci, il s’agit de l’article 60 du Statut de Rome et de la règle 118 du Règlement de preuve et de procédure selon lesquels les juges de la CPI doivent périodiquement réexaminer leur décision de mise en liberté ou de maintien en détention du suspect, au moins tous les 120 jours. Les juges évaluent alors s’il n’y a eu de changement des circonstances pertinentes concernant la nécessité de maintenir le suspect en détention pour garantir qu’il comparaisse devant la Cour et qu’il ne fasse pas obstacle à l'enquête ou à la procédure devant la Cour. Jusqu’à présent, les Juges ont décidé de la continuation de la mise en détention de M. Gbagbo à neuf reprises.
[Cet entretien a été réalisé avant la dixième décision relative à la détention de l'ancien président ivoirien. ndlr]
IJ : Jusque-là, quel type de réponse ont reçu vos activités de la part des Ivoiriens ? Sont-ils critiques ? Satisfaits ? Ont-ils beaucoup appris ?
JMB : Les Ivoiriens que je rencontre démontrent un vif intérêt envers la CPI. Depuis octobre 2014, nous avons rencontré plusieurs centaines d’Ivoiriens. Les participants soulèvent toujours plusieurs questions et souhaitent toujours en apprendre davantage sur la CPI. Bien entendu, certaines personnes ont leurs appréhensions sur la Cour car son fonctionnement est complexe et peu connu du grand public. Cela étant dit, nous constatons une nette différence à la fin des rencontres. Le dialogue que nous établissions avec les participants et les informations que nous leur transmettons permettent de rendre les discussions plus objectives.
En ce qui concerne leur appréciation et leurs apprentissages, je vous invite à écouter les finales du concours Génies en herbe qui seront diffusées à partir du mois de décembre sur les ondes de plusieurs radios de proximités de Côte d’Ivoire. Vous pourrez constater que les jeunes participants ont une excellente connaissance du fonctionnement de la CPI. Ils ont d’ailleurs surpris les organisateurs car ils connaissaient les textes juridiques de la CPI, y compris le Statut de Rome, sur le bout de leurs doigts.
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IJ : Quels ont été les défauts du travail de votre unité dans d'autres pays comme la RDC ? Qu'est-ce que la CPI a appris de cela ?
JMB : À travers nos différentes expériences, y compris en Côte d’Ivoire, nous avons compris l’importance de créer des partenariats avec les acteurs de la société civile, d’intégrer et d’adapter nos messages de communication dans les diverses langues locales ainsi que l’importance de créer une véritable écoute avec nos interlocuteurs. En effet, les gens que nous rencontrons souhaitent en apprendre davantage sur la Cour et ils désirent aussi nous partager leurs points de vue.
Le travail que nous avons réalisé nous a aussi enseigné l’importance de tester et le cas échéant, de rectifier nos outils de communication afin de mieux les adapter à la diversité de nos interlocuteurs. Nous cultivons en effet des interactions avec une audience variée et nous transmettons des informations à la fois aux spécialistes du droit pénal international et aux membres des communautés affectées qui n’ont parfois jamais entendu parler de la Cour. Il faut donc adapter nos messages et nos outils de communication pour que le travail de la Cour fasse plus de sens et soit plus accessible et compréhensible pour nos partenaires.
Finalement, il faut aussi souligner l’importance de l’éducation et de l’implication de la jeunesse dans nos activités. Non seulement la jeunesse représente une importante courbe démographique des principaux pays dans lesquels nous conduisons des activités, mais les jeunes se sont montrés des interlocuteurs à la fois intéressés et actifs au niveau de la promotion du droit, de l’apprentissage des mécanismes de la CPI et du droit pénal international.
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[Photo : Ivoire Justice]