CÔTE D’IVOIRE : OUATTARA PRÉSIDENT PAR UNE MAJORITÉ DERIVÉE DE LA MINORITÉ
I-LE CONTEXTE DES ÉLECTIONS DE 2015
L’électorat de 2010 était de 5 725 721. Statistiquement parlant, à l'analyse des résultats consensuels du 1er tour des élections de 2010 des principaux candidats, la population électorale se répartit de la manière suivante :
GBAGBO Laurent : 38,4% soit 2 198 676 voix
OUATTARA Alassane : 32,07% soit 1 836 238 voix
BÉDIÉ Henry Konan : 25,24% soit 1 445 171 voix
Au 2ème tour, les résultats acceptés par tous les membres de la CEI pour les 14 régions sur les 19 que comptait la Côte d’Ivoire sont :
Laurent GBAGBO 53,87% soit 2 031 694 voix
Alassane OUATTARA 46,13% soit 1 739 945 voix
Les 14 régions constituent 82,95% de la population électorale tandis que les régions du nord font 17,05%.
Le résultat électronique du second tour hors fraude affichait les résultats suivants :
Laurent GBAGBO : 51,33%
Alassane OUATTARA : 48,67%
Ces chiffres allaient être certainement ceux qu’aurait trouvés la communauté internationale si elle avait accepté le recomptage des voix. BAN KI MOON avait jugé inacceptable un recomptage pour ne point causer une « INJUSTICE » à M.OUATTARA selon ses propres termes.
Il a donc certifié les résultats du QG de M.OUATTARA qui étaient les suivants :
Alassane OUATTARA : 54,10% soit 2 483 167 voix
Laurent GBAGBO : 45,90% soit 2 107 055 voix
Craignant donc que le pot aux roses ne soit mis à nu, le régime Ouattara a résolu de faire oublier la forfaiture de 2010 en résolvant la difficile équation de transformer une minorité réelle de 48,67% en 2010 en une majorité de 83,66% en 2015.
II-UN PEU DE MATHÉMATIQUES
Nous savons tous que 40/100 est égal à 40%. Si nous voulons passer de 40/100 à 80/100, nous avons le choix entre multiplier le chiffre du haut (le numérateur) par 2. Ainsi 40X2/100= 80/100 ou diviser le chiffre du bas (le dénominateur) par 2 soit 40/ (100 :2)= 40/50. Or 40/50=80/100=80%.
M.OUATTARA ayant obtenu autour de 2 200 000 voix en 2010, il suffisait soit de rallonger la liste électorale de 2 200 000 électeurs favorables à M. OUATTARA à travers des artifices d'audiences foraines et de nationalité par déclaration ou soit de réduire de moitié la population électorale en emprisonnant, en contraignant en exil ou en refusant toute concession à l’opposition pour provoquer l’abstention et passer donc de 40% à 80%.
Malheureusement pour M. OUATTARA, les 2 200 000 nouveaux Ivoiriens issus des audiences foraines et de la naturalisation par déclaration, ne se sont pas présentés pour s'inscrire sur la liste électorale 2015 à cause des changements politiques au Mali et au BURKINA. Devant servir de mercenaires électoraux pour les élections de 2015, la chute de leur parrain Blaise Compaoré et le non payement des primes de guerre ont découragé toute nouvelle aventure en Côte d’Ivoire au profit de M. OUATTARA.
Ainsi, les nouveaux inscrits sur la liste électorale ont été de 574 421 pour 2 200 000 attendus. Les nouveaux inscrits sont composés de 144 000 issus des audiences foraines et de 430 421 nouveaux majeurs. Le nombre total d’électeurs pour 2015 est donc de 6 300 142, à peu près identique à l’électorat de 2010 qui était de 5 725 721.
L’opération de multiplication par 2 des électeurs favorables à M. OUATTARA ayant échoué, cela l'a donc conduit au refus de toute concession à l’opposition pour provoquer l’abstention dans le but de diviser par 2 le nombre des votants afin d’obtenir la légitimité mécanique écrasante de 80%.
III-DERRIÈRE LES CHIFFRES DES ÉLECTIONS DE 2015 SE CACHENT UNE MAJORITÉ DERIVÉE D’UNE MINORITÉ
On aura tout vu dans cette élection de 2015. L’éligibilité constitutionnelle a été remplacée par une éligibilité dérivée qui a permis la candidature de M.OUATTARA.
En se référant aux explications mathématiques ci-dessus, les résultats des élections de 2015 nous permettent de voir comment une majorité peut être dérivée d’une minorité.
Sur 6 300 142 seuls 54.63% (chiffre officiel) se sont rendus aux urnes. Derrière ce chiffre qui est fait pour rassurer l’opinion internationale et leur permettre de justifier leur soutien sans faille à M.OUATTARA, se cache une illégitimité qui reste problématique. Sachant que l’Occident préfère des Présidents illégitimes qui lui sont redevables et qui ont recours à son soutien militaire et judiciaire pour régner, le nouveau contexte démocratique les oblige à fabriquer une majorité acceptable par l’opinion publique occidentale afin de justifier les accords de coopération lourdement payés sous forme de matières premières et de marchés publics. Le cas de la Côte d’Ivoire est donc un cas de laboratoire dans cette nouvelle stratégie de l’Occident en Afrique.
En accordant le bénéfice du doute à la CEI (Commission Électorale Indépendante), ce taux de participation ne sauve pas la légitimité du régime OUATTARA mais dévoile plutôt le mécanisme de fabrication d’une majorité à partir d’une minorité. Cette majorité dérivée de la minorité constitue précisément une bombe à retardement qui justifiera la suspension ou l’annulation de l’embargo sur les armes et l’application des nouveaux accords de coopération militaire. Ce qui favorisera les bonnes affaires pour les marchands d’armes français, seuls secteurs où la France détient le monopole en Côte d’Ivoire grâce au renouvellement des accords de coopération militaire face à la compétitivité des produits chinois dans les autres secteurs.
Première surprise de taille que révèle les résultats de 2015 :
En 2010, pour justifier son score de 54% qu’il s’est octroyé, le nombre d’électeurs supposé avoir voté en sa faveur était voisin de 2 500 000 contre 2 618 000 en 2015, soit une différence de 118 000 voix. Le nombre de votants en faveur de M.OUATTARA est donc resté constant entre 2010 et 2015 malgré les ponts, les distributions de billets de banque, le monopole des médias publics pour louer le génie du « Warri fatchè » et le taux de croissance à deux chiffres. Même les 144 000 nouveaux Ivoiriens par déclaration inscrits sur la liste électorale n’ont pas voulu accorder la totalité de leur suffrage à leur « bienfaiteur ». Comment avec le même nombre de voix supposé avoir eu en 2010, M.OUATTARA passe de 54% à 84% ? C’est là qu’intervient la science juridico-Mathématique inventée par les savants du RDR : Il suffit tout simplement d’appliquer la justice des vainqueurs à la moitié de l’électorat pour les contraindre à l’abstention.
En divisant par deux les électeurs par la justice des vainqueurs, M.OUATTARA passe mécaniquement du taux réel de 48.67% en 2010 à 83,66% en 2015. Il dérive ainsi une majorité d’une minorité sans un accroissement significatif de nouveaux votants en sa faveur. Le droit des vainqueurs vient encore au secours des mathématiques :
La contrainte à l’abstention de la moitié de l’électorat par l’emprisonnement, l’absence de dialogue, l’étouffement des libertés démocratiques, les menaces, la violence, l’exil et le gel de leurs avoirs, permet donc de transformer une minorité en une majorité.
Toutefois, ces chiffres montrent que la réalité aurait été différente si le candidat sortant OUATTARA avait affronté son principal adversaire Laurent GBAGBO ou si les conditions avaient été créées pour une participation effective de l’opposition dans son ensemble.
M.OUATTARA est donc bel et bien Président par dérivation d’une minorité en une majorité et non par son bilan qui n’a pas insufflé un accroissement du nombre de ses votants. La répartition de l’électorat est restée stable de 2010 à 2015.
IV-OUATTARA ROI DU « DÉSERT » IVOIRIEN
L’examen des résultats de 2015 montre que M. OUATTARA reste le Roi du Nord avec un taux de participation variant de 80% à 97% correspondant aux résultats de M.OUATTARA dans le Nord. Cette région, malheureusement ne représente que 17.05% de l’électorat.
V-BÉDIÉ ROI DE LA « SAVANE »
L’appel de Daoukro a eu un écho plus ou moins favorable dans la savane qui forme le V-Baoulé où le taux de participation varie de 50% à 60%. Au vu du score du principal challenger AFFI N’GUESSAN voisin de 5% dans le V-Baoulé, nous pouvons conclure que BÉDIÉ reste le ROI de la savane et la principale béquille de M.OUATTARA.
Cette zone représente 11.5% de l’électorat mais la population de cette zone est majoritairement dans les forêts de l’Ouest. Souvent en phase électorale avec sa région d’origine cet électorat constitue une composante essentielle des voix du PDCI donc du RHDP à l’Ouest.
VI- AFFI LION DU MORONOU ET LIONCEAU ORPHELIN DE LA FORÊT
Premier maire FPI au lendemain du multipartisme dans le Moronou, AFFI N’GUESSAN confirme son implantation et son leadership dans le Moronou avec 54.06% contre la double adversité de M.BEDIE et de M.OUATTARA dans l’ancienne boucle du cacao en zone forestière. Il fait une percée dans les autres zones forestières de l’Est : le Gontougouo (Bondoukou) avec 15%, l’Indénié-Djuablin(18%), le Sud Comoé (18%), dans l’Agnéby-Tiassa(27%), la ME (39%). Dans les forêts de l’Ouest et du Sud il tourne entre 3% et 11% avec un taux d’abstention au-dessus de 50% dans la zone en l’absence du soutien du « lion ».
La zone forestière représente 71% de l’électorat et a été majoritairement abstentionniste à plus de 50%.
VII-CONCLUSION ET PERSPECTIVE
« Warri fatchè », victime de sa politique de rattrapage, n’a pas pu augmenter ses suiveurs malgré les ponts et les taux de croissance à deux chiffres. Il s’est enfermé dans sa bulle d’ancien DG du FMI réduisant le désir des ivoiriens à du béton, du bitume et des chiffres.
Il est trop facile d’emprisonner ses opposants, de geler leurs avoirs, de les expédier en exil et de limiter leur liberté d’expression pour s’autoproclamer élu à 83% !
La fracture entre le Nord et le Sud représente donc une bombe à retardement dans la mesure où les vainqueurs fondent leur victoire sur un désert humain ayant voté et une forêt humaine abstentionniste.
Si aucune mesure sérieuse n’est prise dans le sens de la réconciliation pour permettre la participation effective de l’opposition au jeu démocratique lors des consultations législatives, la Côte d’Ivoire court vers une catastrophe prévisible mais malheureusement le marché des armes a besoin de débouchés et les gouvernements illégitimes qui portent en leur sein une crise potentielle certaine sont un bon fertilisants pour le marché des marchands d’armes. Il n’y aura aucune surprise si l’embargo sur les armes est levé.
Toutefois, le pouvoir par dérivation est pris entre le marteau et l’enclume car la libération des cadres de l’opposition et le dégel des avoirs pour une réconciliation vraie risquent de lui faire perdre la majorité parlementaire et donc le gouvernement. La persistance dans la justice des vainqueurs et l’asphyxie financière de l’opposition risquent de radicaliser l’opposition et donc de plonger la Côte d’Ivoire dans une révolution dont il est difficile de prévoir l’issue ou dans une catastrophe humanitaire à la moindre crise financière ou sociale à la grande joie des marchands d’armes.
La clé de l’avenir de la Côte d’Ivoire est donc entre les mains du pouvoir par dérivation, à lui de savoir la tourner dans le bon sens.
Quant à l’opposition, elle a une gauche à reconstruire en combattant le sectarisme face aux forces de droite coalisées. C’est une course de fond et non une course de vitesse qui a besoin du temps et donc d’un bilan et du renforcement de l’avant garde par des énergies intellectuelles et physiques jeunes.
La conquête de la souveraineté dans sa dimension politique, syndicale, patronale ou mutualiste et coopérative est un devoir de la gauche. La souveraineté est une conquête permanente de l’individu sur lui-même et de la société sur elle-même. Le sectarisme et l’irrationalité n’ont pas leur place dans une dynamique victorieuse.
La souveraineté appartient au peuple. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. « Constitution ivoirienne de 2000, Titre II, article 31 ».
Dr DON MELLO Ahoua