Azyle est l’une des figures les plus mystérieuses et créatives du graffiti français. Tagueur actif depuis le début des années 90, agissant seul, amoureux du métro où il a oeuvré en secret pendant plus d’une quinzaine d’années, c’est une légende du milieu. Se faisant très rare dans les médias et refusant toute approche du marché de l’art et du street-art, il a accepté que Karim Boukercha dresse son portrait en 2 épisodes pour Clique.tv.
De la punition à la saturation…
C’est pendant les grandes grèves de 1995 qu’Azyle renaît, lorsqu’il tombe par hasard sur une petite boutique de bombes de peinture près de la Gare de l’Est.
Il en franchit la porte, assez étonné de voir qu’un magasin spécialisé dans le graffiti ait pu ouvrir alors qu’il pensait le mouvement décédé. Déjà à « son époque » les points de ventes n’étaient pas légion. La tradition était au vol et les graffeurs qui concédaient d’acheter leur matériel devaient se rendre aux Puces de Montreuil, chez « MJ Spray » à Père Lachaise, ou encore chez « Alim Color » à Aulnay, où ont leur cédait des Sparvar pour « 20 francs la bombe, et 100 francs les six. » Azyle est de ceux qui ne dépensent pas. Pas le choix car par d’argent. Chez Monoprix il s’approvisionne en Krylon noire et blanche, chez Graffigro et au Bon Marché en Marabu « Do it », quand ça n’est pas dans une constellation de magasins automobiles, pour les Auto-K, Altona, et autre Multona bien solvantées. Pour les encres, c’est BHV, Samaritaine, ou une multitude de commerces au surnom des stations de métro où ils sont situés.
Azyle est maintenant l’intérieur de la boutique où il découvre l’existence de nouveaux fanzines que le vendeur le laisse feuilleter. « On n’ On« , « Paris Connexion« , « Keep Rollin », « Xplicit Graff-X » dans lesquels il constate, choqué, qu’on peint encore dans le métro de Paris ! Son ego en prend un coup. Il reconnait SES dépôts, SA ligne, et n’y voit aucun vestige de ce qu’il a fait. Ça lui fait mal, d’autant plus qu’il ne se reconnaît pas dans ce nouveau graffiti qui n’hésite pas à changer constamment de pseudonyme pour tromper la police. Sacrilège.
Signer, un autre nom… Quel intérêt !?
Quoi qu’il en soit, il est bien obligé de se rendre à l’évidence, les nouveaux ont pris de l’avance, sont passés à la photo et ont maintenant des supports pour promouvoir leurs actions… Il comprend immédiatement que ça n’est pas avec le seul cliché de son travail, une punition en pleine page dans le premier livre sur le graffiti français, « Paris Tonkar », paru en 1991 et épuisé dans la foulée, qu’il restera dans les mémoires. Sans compter son book, jeté par la mère d’Abdik, chez qui il était caché…
« I am back ».
Azyle profite des grèves (grand rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte) pour redescendre dans tous ses plans d’époque et revenir déposer discrètement ses nouvelles productions à l’attention des magazines.
En remettant le pied à l’étrier, il s’aperçoit aussi que « la punition », style qu’on lui attribuait, est devenue une pratique courante pour les nouveaux activistes. Il la trouve dépassée, ennuyeuse, impuissante. Comme dans les années 90, il va lui falloir innover s’il veut se démarquer.
Il est hors de question pour lui de faire autre chose que signer.
Nostalgique, il a à cœur de retrouver «la vraie matière» et traque les places qui ont échappé au pelliculage de la RATP. Ici et là entre deux wagons ou en dessous des marchepieds. Fait ce qu’il nomme les « places discrètes », comme les moteurs, les têtes et même parfois en dessous des rames ! Toujours à l’affut des « poses éternelles », il se met à la rayure. Cible pare-brise, vitres, carrosseries et pousse le procédé en passant jusqu’à trois quarts d’heure sur certaines d’entres elles. Ravis de voir que la RATP, ne pouvant les éliminer dans un laps de temps raisonnable, est obligée de les faire circuler.
Retour vers le futur
C’est dans cette quête de faire revivre le passé qu’il trouvera les prémices de son nouveau style, quand il termine une des ses punitions en faisant gicler ce qui lui reste d’encre dans ses baranes pour les vider. Petit plaisir qu’il savoure en souvenir du temps où il n’était pas rare qu’il soit à court de matériel, en galère pendant une semaine pour faire ses remplissages ou à sec devant une première classe bien punie mais non achevée. Maintenant jeune adulte, traduire ici plus intelligent et organisé dans sa façon de voler, il se constitue des stocks astronomiques de teinture pour cuir qu’il n’a pas de remord à faire couler sur le support, même si elle ne s’imprègne plus dans la matière comme par le passé. Cette fois, dans le dépôt quand il prend du recul pour regarder ses tags auxquels les giclures viennent s’ajouter, il perçoit la force et l’intérêt de brouiller les lignes. Idem le jour où il commence à mélanger les encres, poser de façon plus éparse, et comme il ne supporte toujours pas le vide, compléter les blancs, au point que ses calligraphies commencent à se chevaucher. C’est un paradoxe, car pour se ré-inventer, Azyle va devoir bafouer les principes de base de sa discipline. Tuer la lisibilité de son nom et s’auto-toyer*. (*Toyer = écrire son nom par-dessus celui d’un ennemi). Il mixe les procédés. À ses tags à l’encre, il ajoute des signatures à la bombe qui se superposent, faisant ainsi un pas de plus vers la peinture et l’abstraction. Ses compositions sont plus explosives. Plus anarchiques. Plus impactantes. Il ne punit plus le support : il le sature. Et ça lui plaît, même si cette évolution l’amène à devoir se poser des questions de composition, d’équilibre. Tout en respectant la calligraphie de son « Azyle parfait », qu’il répète à l’infini, pas loin de la transe, pour enfin le trouver.
Son nouveau style prend forme, en même temps que sa vie d’adulte. Il obtient un bac pro en carrosserie. Se rend à l’armée où il frôle la folie et se fait réformer. Par miracle il parvient à rentrer à l’École nationale des arts et métiers d’art. Le premier élément dans l’histoire de cette institution à y être admis en venant d’une filière professionnelle.
Il n’a pas en tête de devenir artiste. Il veut juste créer et s’exprimer.
Son idée est d’accorder la carrosserie à l’art. Il pense au design, à la sculpture métal. Très bon élément, les profs le soutiennent et le poussent. Il a des facilités pour le dessin, même il s’entête à aller vers l’abstrait. Azyle n’est pas un figuratif. Aussi il se découvre influençable (et n’aime pas ça), lui qui, dans le graffiti, avait toujours tout fait pour se différencier. Il se reconnaît dans quelques peintures des impressionnistes. Chez les élèves, il voit aussi la capacité que les « peu de talents » ont à se vendre. Bien intégré à l’école, soirées, filles, tout se complique quand il rencontre sa première compagne et qu’une histoire trop passionnelle aura la peau de ses études artistiques. Incapable de gérer les deux, il choisit la passion, même si l’école fait tout pour le retenir. Il ne regrette pas l’expérience, tout en ayant très bien compris que ce monde de « l’art officiel » n’était pas fait pour lui, qui voue plus de respect aux artisans. Aux actes, moins qu’aux mots. Alors il gagne sa vie en faisant des petits boulots dans des garages jusqu’à ce que l’intérim lui propose une mission inespérée au bureau d’étude Renault en 1999. Il a 25 ans. Il y entre comme technicien méthode en tôlerie. Il rédige des guides techniques et a son premier enfant, deux ans plus tard. Il monte en grade et conçoit des cours qu’il dispense à des formateurs du monde entier. On lui doit notamment des cours de soudure de renommée internationale. Cette vie professionnelle et personnelle épanouissante (en apparence) ne donne pourtant pas envie à Azyle de lâcher les entrailles du métro. C’est encré en lui. Il a besoin d’adrénaline et peint toujours, à cadence régulière.
Il ne craint pas les arrestations qu’il prévoit en mettant de l’argent de coté pour son « budget amende ».
Le graffiti est intégré à tous ses choix sans que ça soit un questionnement pour lui. Stylistiquement surtout, il voit toujours des choses a innover. Il se trouve peu à peu, même s’il garde en lui un sentiment d’inaccompli. Sa vie de famille, et surtout sa compagne, avec laquelle il entretient des rapports de plus en plus conflictuels, ne lui laisse pas assez de temps pour peindre et le frustre. Il vit leur séparation, en 2005, comme une libération, un des plus beaux jours de sa vie. Un champ libre pour se donner les moyens de vivre l’existence dont il a toujours rêvé. Mettre à profit toute son intelligence d’adulte dans sa passion adolescente. Peindre quand il veut.
Le début de la fin
Solitaire dans l’âme, Azyle se laisse aller à ce qui l’avait perdu à ses débuts : rompre avec la règle de l’agissement préparé et exécuté seul. Pour lui, le risque, c’est l’autre. Il fait la rencontre de Vices, un autre amoureux du métro, en novembre 2006 dans lequel il se retrouve adolescent car ils partagent en partie la même vision du graffiti. Il a en tête de faire une année 2007 où il repousse toutes ses limites physiques et mentales. Il n’est pas rare qu’il dorme dans sa voiture avant de pointer au travail après avoir oeuvré toute la nuit. Ne dit rien à sa nouvelle compagne de ses activités nocturnes. (Elle pense qu’il vole des tableaux) Cette fois il a décidé que l’amour ne viendrait pas perturber son destin.
Dépôts rares, plans à quai, ateliers. Peintures deux à trois fois par semaine, ajouté aux nuits de rodage et de préparations des entrées, Azyle et Vices exagèrent. Ne se soucient de rien. Multiplient les exploits. Et se pensent protégés par les dieux du graffiti quand ils échappent de peu aux arrestations. Illusion de courte durée car depuis plusieurs mois déjà, irritée par ces deux insolents qui les narguent en ne changeant pas de nom, la police anti-graffiti les recherche activement. Ils parviendront à les retrouver suite à un patient travail de recoupement. « Sylvain ! Vincent ! Les mains sur la tête ! » Les deux tagueurs les entendent crier leurs prénoms un soir de juin 2007 alors qu’ils regagnent leur voiture après avoir peint dans le dépôt de Porte de la Chapelle.
La fin de 17 ans de peinture dans le métro pour Azyle.
La main coupée mais pas la tête
Pour lui, c’est évidemment le choc, mais surtout la frustration. En pleine évolution stylistique, il dit au policier qu’il n’avait pas du tout planifié son arrestation à ce moment et la vit comme une incohérence. Ses saturations commençaient à peine à s’orner de «projections additionnelles», fins traits de peintures projetés sur le support, produisant un effet de lacérations dynamiques. Lui permettant par la même occasion de changer d’échelle de peinture, et dépasser ses limites physiques avec lesquelles il devait composer jusqu’alors. Tant de nouvelles directions qu’il ne pourra pas explorer… Ça le désole. Le reste n’est que détail pour lui. Pour leurs actions en réunion avec Vices, on leur réclame la somme de 581 000 euros. Cette estimation sera révisée par la suite, par la juge d’instruction, qui comprendra bien que la démarche d’Azyle est avant tout une affaire personnelle. D’autant plus que Vices, rattrapé par l’accumulation de procès, fuira la France à tout jamais, suite à cette affaire. Addition finale pour Azyle de 195 000 euros.
Ne pouvant plus peindre, il conçoit son procès comme la suite de son œuvre.
Il fait appel à un avocat, Maître Jésus (un signe ?). Sa ligne de défense se résume en un mot : la Vérité. Ne concevant pas avoir écrit Azyle toute sa vie, sans mentir, pour qu’on y accole un chiffre erroné, il veut connaître le juste prix de ses créations (selon la police). Combien coûte réellement ce qu’il a fait ? Pourquoi personne ne s’interroge quand il demande comment sont chiffrés les devis et pointe des incohérences sans que la RATP ne réponde ? C’est en tagueur qui classe ses métros par numéro de série doublé d’un technicien appliqué, concepteur de cours méthodiques, rompu au devis, qu’il se plonge dans son dossier et tente de comprendre le mode de calcul de la RATP. Celui du coût et de la quantité des produits utilisée, comme celui de l’immobilisation des rames, ou celui du temps pour nettoyer ses peintures. Il fait appel à un huissier.Démontre qu’il n’en résulte qu’un dommage léger et qu’à condition égale avec les nettoyeurs du métro, on peut nettoyer un mètre carré de dégradations en dix fois moins de temps que ce que la RATP indique, et cela sans que ne subsiste la moindre trace… C’est avec tous ces éléments qu’il espérait être entendu lors de son procès fin 2012. En vain. La juge, amiable, qui l’a pourtant écouté attentivement, a retenu ce que le parquet et la RATP demandaient, exactement. Huit mois de sursis. Cent quatre-vingt-quinze mille euros de dommages-intérêts. Azyle fait appel. Pas pour l’argent. Pour la Vérité. Combien cela coûte-t-il d’effacer sa signature ? Effacer un Azyle.
Vous pouvez retrouver le parcours et le travail d’Azyle dans le livre Descente Interdite (Ed. Wasted Talent, Alternatives)