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Le Gri-Gri International

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#ProcèsHabré / Jacqueline Moudeïna et les 30 000 victimes oubliées des massacres en région

Publié par Gri-Gri International sur 31 Juillet 2015, 23:34pm

Catégories : #Tchad, #Gos et Gars du moment, #Politique, #Françafrique, #Francophonie

#ProcèsHabré / Jacqueline Moudeïna et les 30 000 victimes oubliées des massacres en région

Figure de proue du combat pour la justice des victimes tchadiennes du règne sanglant d'Hissène Habré depuis plus de quinze ans, soutenue (et là commence les questions) par une ONG ultra-controversée - Human rights watch, qui couvrit la crise ivoirienne, mais grâce à un simple photographe basé au...Kenya !!! - Jacqueline Moudeïna a tout pour plaire aux simplistes, simplificateurs et volontiers sentimentalisants médias occidentaux. L'article de Libération que nous reproduisons ci-dessous le démontre surabondamment. Or, si l'honnêteté et la probité de Mme Moudeïna ne sont pas en cause, bien des militants tchadiens s'interrogent sur le fait qu'elle, Reed Brody (HRW) et quelques autres s'en soient, comme délibérément (et alors pourquoi ?), tenus à n'enquêter qu'à N'Djamena... et donc à laisser plus de 30 000 victimes "régionales" sans sépulture, sans justice et sans vérité. Certains ont espéré que la constitution exceptionnelle d'une juridiction africaine spécifique permettrait de mener de plus larges, de plus profondes enquêtes, afin de ne pas s'en tenir aux seules 7 000 victimes, toutes tuées, torturées, mutilées à N'Djamena et dans ses environs, qu'évoque Mme Moudeïna. Las. L'ouverture ces jours-ci du procès Habré à Dakar le confirme : 30 000 victimes, au moins, du régime Habré (et donc de ses fonctionnaires, en particulier l'actuel chef de l'Etat Idriss Déby-de-boisson), n'auront pas droit, elles, à la justice, à la pédagogie et à la vérité historique sur leur calvaire. Le caractère ethnique de certains massacres disparaissant avec ceux-ci dans les oubliettes de l'Histoire du Tchad.

SOURCE

Dans le procès qui s’ouvre lundi à Dakar, cette avocate de N’Djamena défend les victimes de l’ex-dirigeant tchadien Hissène Habré.

Des étoiles tombe une clarté confuse sur N’Djamena. Sur le seuil de la maison aux fenêtres protégées par des paupières en lames de fer, un gardien haut comme une tour, matraque en main, filtre l’entrée dans la rue baignée d’ombre. Arrive la femme pour qui la recherche de la justice est un appareil de propulsion. Il y a chez Jacqueline Moudeïna, 58 ans, coordinatrice du collectif des avocats des victimes du régime de Hissène Habré (4 000 pour le collectif sur un total de 7 000 recensées), un sourire qui peut mordre et cette raideur hautaine dans ce corps douloureux qui a longtemps sonné en passant sous les portiques d’aéroport, après une tentative d’assassinat à la grenade, en 2001, alors qu’elle était à la tête d’une manif de femmes contre le pouvoir. «Aujourd’hui, on m’a enlevé les derniers morceaux, et je ne sonne plus», dit-elle avec lassitude au moment où s’ouvre ce lundi à Dakar, devant les Chambres africaines, le procès de Hissène Habré.

Pour la première fois, les tribunaux africains vont juger l’ancien dirigeant africain pour violations des droits humains. Il est accusé de dizaines de milliers d’assassinats politiques et de torture quand il était au pouvoir, entre 1982 et 1990.

Avocat au Tchad est un métier dangereux, surtout si on refuse de partager la coupe de vin et de sang que le pouvoir d’Idriss Déby, qui fit tomber Habré en 1990, vous tend en remerciement de votre amollissement. Depuis 1998, Moudeïna s’est en quelque sorte soustraite à la vie car le dossier Habré a la forme du colimaçon. C’est ainsi qu’elle s’est recroquevillée pour pouvoir y rentrer et ne jamais en sortir : «C’est la part de naïveté qu’il me reste car je n’ai pas le droit de faillir. Un dossier comme celui-là, c’est surtout une succession d’échecs et de désillusions.»

Il y a eu tour à tour la tentative d’assassinat à la grenade (2001), puis la tentative d’exfiltration (2008) par les autorités françaises au motif que son nom aurait été couché sur «une liste noire» du régime de Déby : «J’ai répondu aux diplomates français que c’était scandaleux de la part de la France de demander au préalable à celui qui m’en voulait la permission de m’exfiltrer et qu’en conséquence, je resterai au Tchad.»

Seule l’ONG Misereor, qui dépend des œuvres catholiques allemandes, finance en 2012 le gardiennage de sa maison et des travaux de maçonnerie censés décourager les tentatives d’effractions et d’intimidations dont elle est l’objet. Elle vient alors d’échapper à un braquage devant chez elle. Quelques jours plus tard, sa voiture est retrouvée «dans un ravin» et les «braqueurs»une balle dans la tête. «Qui peut croire à cette fable de simples braqueurs ?»dit-elle.

Il y a, chez cette femme, l’orgueil de ne rien devoir à personne et de lutter contre la toute puissante attraction des pouvoirs, quels qu’ils soient. Cette indépendance d’esprit, elle dit souvent qu’elle lui viendrait de son père qu’elle n’a pas connu. Jacques Moudeïna est mort en 1957 dans des circonstances mystérieuses. Il était le premier médecin tchadien issu d’une grande famille protestante. Jacqueline est alors confiée à sa grand-mère maternelle, elle aussi protestante. Sa mère se remarie. Naîtrontquatre demi-sœurs et frères.

La voilà scolarisée chez les sœurs de Koumra, une petite ville dans la région du Moyen-Chari, non loin de la frontière avec la République centrafricaine. Et la toute première «révolte» contre ce qu’elle considère comme une injustice. En effet, elle estime que la note donnée «à une fille de militaire français» est surévaluée. L’institutrice, «une dame française», lui répond :«Reste donc à ta place, petite Négresse.» Jacqueline la gifle. Elle est exclue un mois : «En fait, j’ai continué d’assister aux cours, mais par la fenêtre de la classe, et tout en répondant aux questions de l’institutrice que j’avais giflée. Une sœur, que j’aimais beaucoup, m’a dit : "Tu es une révoltée, une enfant devenue adulte un peu trop tôt. Va, retourne en classe".» Puis ce sera, à l’adolescence, le lycée Félix-Eboué de N’Djamena - «seule fille parmi 32 garçons, j’ai dû montrer que j’étais plus intelligente et plus bosseuse qu’eux».

Jacqueline Moudeïna tient le registre de sa vie en accéléré. En 1978, son dossier pour rentrer à l’école d’interprétariat de Bordeaux est prêt. Mais il se perd. Elle rentre en fac d’anglais à N’Djamena par défaut. Se marie la même année avec un journaliste tchadien. Ce dernier réalise une interview de Habré, pressenti pour être Premier ministre. Qui lui dit en le quittant :«Tenez, vous offrirez cette caisse de mangues à votre épouse.» Elle :«Comment aurais-je pu un seul instant imaginer que cet homme allait occuper dix-sept ans de ma vie ?»

Divorce, exil à Brazzaville en 1982 au Congo, au moment où Habré prend le pouvoir de force. Elle est sans le sou et sans métier à Brazzaville. Un oncle avocat lui suggère «de faire son droit» au Congo. Elle mène ses études sur place, qu’elle finance en occupant «un poste de vendeuse en pharmacie». Premier stage en 1995 et retour au Tchad dans un cabinet à N’Djamena. Elle s’inscrit au barreau trois ans plus tard.

Le dossier Habré l’emporte alors dans la fangeuse exploration du mal. Appuyée fidèlement et financièrement par Human Rights Watch dès 2000, elle explique : «J’ai conduit collégialement ce dossier auquel j’ai donné ma voix, avec aussi des moments d’abattements terribles.» Ses proches lui suggèrent d’abandonner quand les menaces se font plus pressantes :«Rayez-moi de la famille ou alors acceptez-moi comme je suis», répond-elle.

Dans le champ visuel de sa conscience, il y a une vingtaine de victimes qui sont venues frapper ce soir-là chez elle. «Que voulez-vous ?» leur dit-elle sèchement. Elles : «Rien, on est venu te voir.» Elles sont restées deux jours dans la cour de la maison. Jacqueline Moudeïna, qui n’a ni enfant ni mari, les a nourries. Un soir, elle se prend le visage dans les mains : «Parfois, elles restent des heures dans mon bureau à me regarder. Je ne peux pas les mettre dehors. Je suis épuisée.»

Depuis que 20 supplétifs du régime de Hissène Habré ont été condamnés à vingt ans de prison et que l’Etat tchadien a été condamné à verser 75 milliards de francs CFA (114 millions d’euros) en réparation aux 7 000 parties civiles, «chacune des victimes se voit milliardaire». Elle poursuit : «On me dit : "Il paraît que c’est toi qui as l’argent ?" C’est un autre combat qui prendra encore des années», souffle-t-elle.

Quand on lui parle de cette foi qui ne l’a pas quittée car chaque dimanche elle se rend au temple, elle répond : «Je suis une protestante élevée par des sœurs catholiques tout en restant profondément protestante. Je porte la voix des orphelins.»

1957 Naissance et mort de son père. 1982 Fuit le Tchad pour le Congo-Brazzaville et débute ses études de droit. 1998 Inscrite au barreau de N’Djamena et prise en charge du dossier Hissène Habré. 2001 Grièvement blessée dans un attentat à N’Djamena. 20 juillet 2015 Début du procès de Hissène Habré à Dakar

Jean-Louis LE TOUZET

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