Combien d’entre vous pensez que Robert Mugabe est l’un des pires dictateurs que l’Afrique ait connus ? Le quart ? La moitié ? Plus encore ? A votre décharge, faut avouer que les Occidentaux ne font pas dans la dentelle : le Zimbabwe est bel et bien inscrit dans la liste des Etats voyous de la Maison Blanche et l’ignoble Mugabe est presque assimilé à Ben Laden, excusez du peu ! Pour vous rassurer, sachez que feu Jonas Savimbi, la terreur des savanes angolaises, fut, lui, un ami patenté des Amerloques, décoré de la prestigieuse médaille de la Liberté par Ronald Reagan en personne…
Revenons toutefois à Mugabe Robert. Ce nouvel Hitler africain fut, il n’est pas inutile de le rappeler, le premier Noir à contraindre des Blancs à abandonner le pouvoir en Afrique australe, ouvrant la voie aux révolutions sud-africaines puis namibiennes ; c’est lui qui, le premier aussi, revendiqua la propriété des terres spoliées par les Blancs au 19e siècle ; et il empêcha enfin, avec ses frères angolais et namibiens, les Sahéliens ougando-tutsis de s’emparer militairement de Kinshasa. Bref, un véritable héro de l’Afrique bantoue. Mugabe a donc été diabolisé par les Anglo-saxons parce que, justement, il a ouvert la voie à l’émancipation des Noirs d’Afrique australe, qu’il a osé revendiquer la propriété de ce qu’ont piqué les Blancs aux Noirs et qu’in fine, dans les guerres congolaises, il a pris parti contre les Américains. Nos médias francophones ont ensuite copié leurs congénères anglophones sans trop réfléchir, ajoutant la traîtrise (la France était contre les Américains dans les guerres congolaises, donc alliée de fait au Zimbabwe) à l’incompétence, CQFD !
Tout le reste est délire de journalistes. Ainsi en est-il des accusations farfelues qui n’ont cessé de pleuvoir sur Robert Gabriel Mugabe depuis que ses troupes sont venues au secours de celles de Laurent Désiré Kabila : à commencer par celle « d’affameur du peuple » pour avoir refusé l’aide alimentaire mondiale. Sans que l’on précise que ce refus était fondé sur la volonté de ne pas casser les marchés locaux de produits vivriers en déversant massivement des produits alimentaires gratuits dans le pays. Lequel n’a enregistré d’ailleurs aucun mort de faim passés les premiers moments de la sécheresse qui était à l’origine du problème.
On l’a ensuite accusé d’être un dictateur, « président à vie » même alors qu’il n’en est rien (il y a des élections présidentielles tous les 5 ans). Et il est nettement moins dictatorial que des amis de l’Occident comme Ben Ali (Tunisie), les PC chinois et vietnamiens, les régimes des républiques turkmènes d’Asie centrale et j’en passe. J’ai même lu que le Zimbabwe ne disposait pas de la liberté de la presse, ce qui est faux… Je n’ai par contre rien lu sur l’éclatement en cours du principal parti d’opposition après sa défaite électorale de 2005 et après les critiques qui ont fusé en interne sur la tyrannie de son leader, Morgan Tsvangirai. Il est vrai que les partis d’opposition ne sont pas sensés exister dans les pays dictatoriaux…
La seule vérité incontestable c’est que le pays s’est bien comporté économiquement et socialement jusqu’au moment où il a tiré les conclusions de la perfidie britannique (les Anglais s’étaient engagés par écrit, lors des accords de Lancaster House de 1979, à financer le rachat des terres aux fermiers blancs à l’issue d’une période d’adaptation de 10 ans. Ils n’en ont bien entendu rien fait). Dès lors, il fut enfermé dans une rhétorique dingue, les Noirs étant présentés comme spoliateurs et plus que sévèrement châtiés sur le plan de l’aide et des investissements. D’où les difficultés croissantes qu’il a connues, jusqu’à l’actuelle hyperinflation.
Avec toutefois un élément qu’ignorent les Blancs : c’est le secteur informel qui s’est envolé dès que les Noirs ont eu le pouvoir. Ils ne déclarent plus les productions vivrières, comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne et même les micro entreprises minières ont proliféré. Ce pourquoi les Zimbabwéens ne font pas d’émeutes… Et c’est un con de blanc qui est obligé de vous expliquer tout ça, bande d’ignorants !
Texte - Christian d'Alayer Dessin - Ezzat
PS : ce texte est initialement paru en juin 2007, dans les colonnes du Gri-Gri version papier, rubrique "Con de blanc". Puis, ici même, en novembre 2009.