Figurez-vous que le journal français Le Monde vient de créer un journal en ligne sur l'Afrique : Le Monde Afrique. Et, pour lancer son bébé, le quotidien dit "de référence" a publié un hors série intitulé "l'Afrique s'envole".
C'est bien, direz-vous. Voilà enfin un media français qui reconnaît que l'Afrique n'est pas ou plus cet enfant éthiopien au gros ventres et jambes ultra maigres, entouré de mouches et criant à ses parents assassinés par je ne sais quel chef de guerre : "j'ai faim" ! C'est d'autant mieux pourrez vous ajouter que Le Monde-Afrique n'est pas le premier media français à faire cela : l'hebdomadaire Le Point a fait la même chose deux mois plus tôt en lançant, toujours en ligne, Le Point-Afrique. Et avant cela, des anciens du Monde avaient eux-mêmes créé un machin-en-ligne-sur-l'Afrique en association avec un autre bidule en ligne américain, Slate Magazine. Et avant cela... Rassurez-vous tout de même, si ça s'accélère sacrément depuis quelques mois, ça partait de tellement bas que la liste tient sur les doigts d'une seule main !
C'est que tous ces gus qui veulent visiblement se faire du fric avec la pub qu'ils imaginent tous s'envoler allégrement à l'attention des millions et millions et dizaines et centaines de millions de consommateurs africains ont tout de même pas mal de choses à se faire pardonner. A commencer par le plus faux cul d'entre eux, j'ai nommé Le Monde : figurez-vous que ce quotidien eut le culot de nommer à la tête de son service Afrique puis comme adjoint au patron de l'international un dénommé Stephen Smith, Américain francophone et raciste. Le mec - qui voyageait certes souvent sur le continent mais ne voyait que des présidents et des ministres - écrivit de nombreux ouvrages sur vous dont au moins un devrait retenir votre attention courroucée : Négrologie que ça se nommait. Dans ce torchon, l'auteur attentionné vous comparait quasiment à des singes, expliquant que l'Occident vous avait couvert de fric et que vous n'avez rien su en faire. Il alla plus loin en écrivant crûment que si le Tchad avait été peuplé d'Israéliens, il serait devenu l'égal d'un pays développé. Ce bouquin reçut plusieurs prix littéraires français et des critiques fort élogieuses. Tandis que mon propre livre, Un crime médiatique contre l'Afrique - Les Africains sont-ils tous nuls ?, fut roulé dans la boue quand pas carrément passé sous silence parce que j'osais écrire que les journaleux occidentaux racontaient conneries sur conneries à votre égard et que le troisième millénaire serait africain.
C'était fin 2004, il y a tout juste 10 petites années...
Je n'ai pas fini de rhabiller Le Monde pour l'hiver : dans les années 1980, ce canard avait un commercial sur l'Afrique qui fut un temps le mieux payé de sa boîte (payé au pourcentage). Le Monde gagnait donc un fric fou sur votre dos tout en y cassant allégrement du sucre ! Et bien le type fut remercié, le média français "de référence" jugeant sans doute que vous ne valiez même pas un vendeur de pub. spécialisé... Et c'est cette merde qui vient aujourd'hui vous demander de lire sa prose en ligne sur vous pour que les annonceurs viennent y dépenser leurs sous. Le boycott étant interdit en France (les élites se méfient des "administrés") je ne peux officiellement vous encourager à le pratiquer à l'égard de ce média plus qu'hypocrite. Mais je puis vous conseiller de lire plutôt la presse africaine en ligne ainsi que la presse papier panafricaine réalisée par des Africains...
Car les autres ne sont pas mieux. Slate Afrique par exemple est une création de Jean Marie Colombani, ex-directeur du Monde à l'époque où y sévissait S.S. (Stephen Smith). Le même Colombani hyper libéral qui fut viré pour avoir perdu plus de la moitié des lecteurs en quelques années. Acoquiné aujourd'hui avec des Américains, c'est sûr qu'il ne va pas cracher ni sur le FMI, ni sur la Banque Mondiale !
Et que dire du Point !? Tellement conservateur qu'il a sans doute dû recruter des gamins pour écrire sur l'Afrique sans se boucher le nez ! Pfft, "même ma concierge a une voiture !" C'est du même acabit, le truc de la concierge c'est ce que ma grand-mère disait quand fut inauguré le premier exemplaire de la 4CV Renault. Alors, des macaques qui se mettent à faire des affaires, vous pensez ! Ils sont d'ailleurs tellement confis, les mecs, qu'ils repartent sur l'Afrique comme non pas en 40 mais en 70 : sus aux Etats et aux présidents et ministres. Ils n'ont pas compris que l'envol de l'Afrique n'avait rien à voir avec ses Etats, consciencieusement détruits par les FMI-Banque Mondiale-Clubs de Paris et Londres au cours des dernières décennies du 2e millénaire. Remarquez qu'ils commettent la même erreur chez eux, les journaleux : ils ne s'intéressent qu'aux apparences du pouvoir, qu'à ses "pompes"...
Aucun n'a compris que les Etats africains n'ont plus de pouvoir et plus d'argent à foison. Nos hypocrites se retrouvent donc avec des impayés pas possibles et je suis certain qu'ils ne comprennent toujours pas comment vous pouvez décoller avec de tels Etats ! Tenez, dans le supplément du Monde sur l'Afrique qui s'envole, ils ont quand même fait un papier sur Lagos. Dans lequel ils notent que la ville est bourrée de nouveaux riches et que signer des contrats est le sport favori des habitants de la mégalopole. Tout cela avec des pannes d'électricité constantes. Ont-ils pour autant compris comment ça fonctionnait ? Juste une phrase dans laquelle, en résumé, l'auteur note que l'un des critères de richesse du pays est la taille du...générateur personnel. Autrement dit, la municipalité n'a plus que les réverbères à gérer, CQFD ! D'autant que, rapporte toujours l'auteur sans faire les liaisons nécessaires, l'essence est subventionnée au Nigéria.
Mais ce qu'il a vu à Lagos existe depuis des lustres à Douala et existait à Abidjan. Même Dakar ou Brazzaville sans parler de Kinshasa ont connu les affres des heures de pointe depuis belle lurette. Les Africains, Dieu merci, n'ont pas attendu la permission des Occidentaux pour s'adapter à l'exode rural et l'urbanisation, véritables moteurs de leur décollage actuel. Ce qui n'est pas évident, là encore, pour le quotidien français de référence. Pour lui, ce sont les investissements directs étrangers qui sont à l'origine du décollage ! Et oui, les journaleux de ce canard n'ont même pas pris la peine d'aller regarder les statistiques pourtant gratuites de la CNUCED. Lesquelles montrent que les dits "IDE", "Investissements directs étrangers", sont les plus faibles du Monde en Afrique, stagnant autour de 50 milliards de dollars/an sur les quelques 1500 milliards de dollars/an au total. Ne leur dites pas que ce sont vos immigrés qui ont investi plus que les multinationales - lesquelles continuent à vous bouder ostensiblement -, ils ne vous croiront pas. Comme ils continuent à ne pas vouloir croire que l'austérité entraine le chômage lequel accroit l'endettement des Etats. Mais bon, quand un âne ne veut pas boire...
Dernier truc que j'ai relevé avant d'en avoir marre : pour eux, l'avenir de l'Afrique, c'est toujours et encore les matières premières. Bande de crétins congénitaux ! Avec aujourd'hui une bonne moitié du milliard et des poussières d'habitants que vous êtes qui peuvent consacrer de l'argent à plus que le strict nécessaire, ce sont avant tout les biens de consommation qui tirent votre croissance, voir la téléphonie mobile. Mais allez expliquer à ces petites cervelles que vous êtes capables aussi de vous industrialiser ! "On a fait une erreur avec l'Asie, on ne la recommencera pas avec l'Afrique" auraient dit des grossiums occidentaux lors de l'un de leurs G20. C'est donc l'Asie qui va venir investir chez vous en sus de ceux de vos compatriotes qui se sont déjà lancés tout seuls, comme des grands. Le tout financé par les matières premières que vous vendez aujourd'hui très cher aux dits Occidentaux. Pas mal, non ?
Texte / Christian d'Alayer
Article initialement titré
L'Afrique s'envole : le bal des hypocrites
(Christian d'Alayer - 24 janvier 2015)
PS : nous nous permettons de vous encourager plus que vivement à vous rendre sur le site du "Con de Blanc" Christian d'Alayer ICI. Vous y retrouverez tous ses articles parus dans Le Gri-Gri International (papier et web). Mais aussi, et peut-être surtout, le reste de sa production. Essais en ligne accessibles gratuitement. Tribunes. Pamphlets. Analyses et prospective économique. Contre-information. Vous y trouverez aussi et enfin un interlocuteur généreux, parfois brutal, jamais obtus et toujours prêt à dialoguer et réfléchir. Mieux qu'un maître : un exemple.