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Le Gri-Gri International

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Lavrov 2/2 / Des pays rêvent de remplacer les Européens et les Américains sur notre marché. L’Argentine et le Brésil, par exemple...

Publié par Gri-Gri International sur 8 Novembre 2014, 09:00am

Catégories : #Politique, #Russie

Lavrov 2/2 / Des pays rêvent de remplacer les Européens et les Américains sur notre marché. L’Argentine et le Brésil, par exemple...

SOURCE

13 oct 2014 [Reprise] Interview du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à ITAR-TASS, 10 Septembre 2014. (Part 2)

Question : Certains diplomates plaisantent en faisant courir la rumeur que Bachar-el-Assad se prosterne et prie pour remercier Allah des manifestations de Maidan.

S. V. Lavrov : Vous voulez dire que les évènements en Ukraine ont détourné l’attention de Damas ? Dans un certain sens, l’ironie peut être vraie, mais nous sommes convaincus qu’oublier d’œuvrer pour la fin des hostilités envers la Syrie serait une erreur. Washington et ses alliés européens étaient d’une intransigeance totale, mais ils ont depuis dérivé vers une position plus proche de la nôtre. Il y a un an, tout d’un coup, quelques-uns de nos partenaires occidentaux se sont mis à dire que le risque d’avoir des terroristes à la tête de la Syrie et de la voir devenir un camp d’entraînement pour militants était bien plus sérieux que le maintien d’Assad au pouvoir.
Question : Que répondriez-vous à ceux qui affirment que les répercussions des événements ukrainiens sur les affaires politiques mondiales ont été exagérées hors de toutes proportions ? Il y a aussi le terrorisme islamiste au Moyen-Orient, le virus Ebola en Afrique et l’éternelle crise dans la bande de Gaza…

S. V. Lavrov : Le problème ukrainien est certainement le plus important pour nous. Vu d’ailleurs, cela peut sembler exagéré, mais c’est parce que les États-Unis voient l’Ukraine comme le théâtre d’un conflit géopolitique où se joue le sort du monde. Les Occidentaux, conduits par les États-Unis, seront-ils en mesure de conserver leur position dominante, ou devront-ils négocier avec d’autres centres de pouvoir ? J’ai demandé à John Kerry et à plusieurs ministres européens des affaires étrangères pourquoi l’Ouest préconisait rapidement un cessez-le-feu et des accords nationaux dans pratiquement tous les conflits (Soudan, Yemen, Afghanistan, Palestine) mais n’en faisait pas de même en Ukraine. Le plan de paix de Porochenko, ou rien. Il s’avère qu’il est possible de négocier avec les Talibans ou le Jihad Islamique, mais complètement impossible d’avoir un quelconque contact avec ceux qu’ils ont appelés des séparatistes de la RPD et de la RPL.
Pourquoi a-t-on dénié au peuple du Sud-Est ukrainien le droit d’être entendu ? C’est au-delà du bien et du mal ! Tout comme le fait que le premier convoi humanitaire de Russie a été dans l’incapacité d’accéder à Lugansk deux semaines durant, alors que la ville connaissait déjà depuis longtemps des problèmes d’approvisionnement en eau, en électricité et d’accès à de nombreuses denrées de première nécessité. Kiev remettait sans cesse au lendemain de toutes les manières possibles et imaginables, sans jamais nous laisser une chance de tendre la main vers ceux qui en avaient le plus besoin. Les autorités ukrainiennes avaient apparemment compris que sans ce genre de comportement, il leur serait plutôt compliqué de présenter notre pays en agresseur. En mai dernier, nous avons proposé au ministre ukrainien des Affaires étrangères une assistance humanitaire pour le sud-est du pays. Notre proposition a été rejetée. La question a de nouveau été débattue en juillet, débats au cours desquels nous avons reçu un accord de principe suivi d’une longue et ennuyeuse discussion sur les détails. Dans un premier temps, Kiev a proposé une route, avant de changer d’idée et d’en proposer une autre. Ce n’étaient pas des négociations, mais une partie de ping-pong sans fin.
Cette lutte a duré plus de deux semaines. Au bout du compte, nous avons perdu patience et, le 22 août, après en avoir informé la partie ukrainienne et la Croix Rouge internationale, le convoi est entré dans la région de Lugansk. L’attente n’était tout bonnement plus possible, la situation défiait les règles du bon sens. Immédiatement, il y a eu toute une série de mensonges sur la roublardise de la Russie. On pouvait avoir l’impression que c’était une provocation délibérée visant à nous attirer dans un conflit.

Question : Selon vous, Sergueï Viktorovitch, il n’existe pas de temps calmes en matière diplomatique ; vous êtes, après Sergeï Choigou, le ministre en exercice depuis le plus longtemps, et vous avez une grande expérience. Est-il nécessaire de rappeler l’année 2008, la guerre avec la Géorgie et votre cinglante réflexion, adressée à Mikhail Saakachvili, le qualifiant de « gros taré » ?

S. V. Lavrov : Ce n’est pas moi qui ai dit cela. L’histoire est la suivante. Suite aux événements en Ossétie du sud, mon homologue européen avait visité Tbilissi, et, sur le chemin du retour, avait demandé à être reçu à Moscou. Au cours d’une conversation privée, il m’avait raconté ses discussions avec Mikhail Saakashvili, discussions qui lui avaient fait se dresser les cheveux sur la tête, et c’est à cette occasion qu’il avait employé cette expression. Je l’ai répétée à l’ancien Secrétaire britannique des Affaires étrangères, David Miliband, qui m’avait appelé pour blâmer la Russie d’une prétendue offense causée à la pacifique Géorgie et à son président. Je n’ai pas ajouté un seul mot insultant à l’égard de Saakashvili. Mais quelques trois mois plus tard, les conseillers de Miliband ont fait fuiter l’épisode dans les médias, pour une raison quelconque, tout en le déformant fortement.
Question : Cependant, il y eut alors une remise à plat des relations avec l’Amérique, les relations avec l’Occident ont été réévaluées, alors maintenant, avec « la Crimée-est-à-nous », on ne peut que rêver de cela…

S. V. Lavrov : Si cela n’avait pas été la Crimée et le Sud-Est de l’Ukraine, l’Occident aurait inventé quelque chose d’autre. L’objectif était de déstabiliser la Russie à n’importe quel prix. La mission a été élaborée il y a longtemps. Prenez la Syrie, par exemple. Il y a quelques années, ils se sont tournés contre nous, nous accusant de protéger un dictateur qui tyrannisait son propre peuple. A ce propos, il a été dit à l’époque qu’Assad utilisait la famine comme arme. Pour en revenir à la catastrophe humanitaire actuelle dans le Donbass, peut-être que l’idée était d’affamer tout le monde jusqu’à la mort et puis de repeupler les territoires vidés avec de vrais Ukrainiens ?

Question : Vous conviendrez que si nous nous reportons à l’hiver dernier, tout avait l’air d’aller très bien pour la Russie : un succès pour le sommet de l’APEC à Vladivostok, des Jeux Olympiques à Sotchi triomphants, la présidence du G8, puis…

S. V. Lavrov : Je le répète : quand on veut, on peut. Le fait que Washington et certains pays européens aient décidé d’isoler la Russie ne date pas d’hier.

Question : Et par conséquent nous sommes maintenant engagés dans une guerre de sanctions.

S. V. Lavrov : La Russie réplique. C’est le cas typique où les autres ont commencé les premiers. On écrit beaucoup maintenant sur ce que nous aurions dû faire ou ne pas faire. Vous savez, quand vous êtes puni comme un élève coupable à l’école… La Russie ne peut pas rester indifférente à cette situation. Mais quelle que puisse être l’attitude envers l’interdiction des importations de produits alimentaires de l’Union européenne, de la Norvège, de l’Amérique du Nord et de l’Australie, et j’ai entendu différents jugements, je ne pense pas que ce soit une tragédie. Tout peut être résolu. Il est important à ce stade d’être rapide : lorsque l’offre d’un pays prend fin, un remplacement adéquat est nécessaire par un autre importateur ou un producteur russe. Je crois que personne ne niera que les fruits et légumes de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et des républiques d’Asie centrale sont plus savoureux et de meilleure qualité que ceux qui arrivent d’Europe. En tout cas, moi je les préfère.

Question : La victoire sur certains restaurants McDonald’s rapprochera-t-elle la Russie d’un triomphe géopolitique ? Juste avant le début de contrôles en masse dans les points de vente McDonald’s à travers la Russie, la société a diffusé un spot TV annonçant un nouveau hamburger avec du parmesan sanctionné…

S. V. Lavrov : J’ai depuis longtemps cessé de m’y rendre. Cependant, je suis allé au premier restaurant McDonald’s qui a ouvert sur la place Pouchkine en 1990, avec ma fille. Le Vice-Premier ministre Dvorkovitch a déjà dit que personne ne prévoit d’interdire cette chaîne de restauration rapide. Les contrôles nécessaires seront effectués, les normes sanitaires seront remises en ordre… Pour ce qui est du parmesan, n’importe quel type de fromage peut être produit si on y investit efforts et savoir-faire. Ce n’est pas un problème.
Question : Le tout étant de ne pas pousser la situation jusqu’à l’absurde.

S. V. Lavrov : Oui, mais on ne veut pas être pris pour des idiots non plus. Rosselkhozbank, qui offre des crédits à nos producteurs agricoles, est parmi ceux que visent les sanctions. Cela signifie que les agriculteurs nationaux devront faire face à des difficultés de financement et leurs produits seront moins compétitifs que les importations en provenance de l’Union européenne, qui obtient on ne sait combien de milliards en subventions. Nous ne pouvons que rêver de telles subventions. Et il y a encore autre chose. Les pays qui ont imposé ces sanctions, et ceux-ci sont pour la plupart des pays membres de l’OTAN, prétendent de plus en plus souvent que la Russie n’est plus leur partenaire, mais un adversaire. Et nous devons réfléchir à ce que veulent dire ces déclarations. Est-il logique que la sécurité alimentaire d’un état, la fourniture de nourriture à la population - même si c’est autour de 20 à 30 pourcents - dépendent de ceux qui nous considèrent comme un ennemi ? Mais la Russie ne peut pas devenir l’otage des plans que d’autres montent pour faire pression par des sanctions. Que se passera-t-il si l’Union européenne et les États-Unis décident de mettre plus de pression sur nous, et sont même d’accord pour allouer beaucoup plus de milliards de dollars ou d’euros sous forme de subventions à leurs agriculteurs ? Nous ne connaissons pas leurs plans secrets.

Question : Mais jusqu’à présent, ils n’ont rien fait de tel. Nous avons interdit les importations nous-mêmes.

S.V. Lavrov : Mais je le dis encore une fois : il y a beaucoup de pays qui rêvent de remplacer les Européens et les Américains sur notre marché. L’Argentine et le Brésil, par exemple, se vantent de produire une excellente viande.

Question : L’avoine ne coûte pas cher, mais les bateaux sont chers. Sagesse proverbiale.

S. V. Lavrov : Non, les prix seront absolument raisonnables. Les Sud-Américains veulent obtenir un quota dans notre marché. Cela se fait dans le cadre de possibilités offertes par l’OMC.
Question : En d’autres termes, vous ne sentez pas de gêne dans votre travail, Sergueï Viktorovitch ?

S. V. Lavrov : C’est ainsi. Je réponds en toute sincérité. D’abord, il s’agit d’un défi professionnel, si vous voulez. Ensuite, ce sont plutôt mes homologues qui se sentent mal à l’aise quand ils doivent donner des explications obscures, par téléphone ou via nos ambassadeurs, pour se justifier de la raison qui les pousse à retarder une visite à Moscou qui avait été programmée. Au nom du Ciel ! L’amour ne se dicte pas. Lors de différents forums internationaux, les ministres des pays qui ont imposé des sanctions à la Russie viennent me voir un par un, me prennent à part et me demandent, tout gêné, de prendre cela du bon côté, d’être compréhensif, disant qu’ils ne veulent pas, mais qu’ils sont obligés. Le consensus, la solidarité… Ce sont les arguments de la très grande majorité des états, qui ont compris qui orchestre ces processus sans aucun dommage pour lui-même, et qui satisfait ainsi ses ambitions géopolitiques.
Peut-être que des périodes de tension dans les relations internationales sont inévitables. Mais elles finissent tôt ou tard. Et celle-là passera. Mais avant tout, tous doivent s’habituer à l’idée que le monde ne sera pas unipolaire plus longtemps. En attendant, nous allons assister à des rechutes et des regains belliqueux.

Question : Peut-on considérer que le non-alignement adopté par la Russie lui confère une position privilégiée ?

S. V. Lavrov : Vous savez, les alliances classiques de l’époque de la guerre froide ont fait leur temps. J’ai déjà mentionné le flottement de l’OTAN, en quête d’une raison d’être. Nous avons l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, notre propre alliance militaro-politique. Mais il n’y a pas de politique du bâton. Parfois, nous entendons : Regardez comme les membres de l’Alliance de l’Atlantique Nord sont unis dans leur vote à l’ONU - les États-Unis ont donné les ordres et tous ont levé la main (mais tout le monde sait qu’on a « tordu le bras » à nombre d’entre eux avant). Quant aux représentants des pays membres de l’OTSC, ils peuvent soutenir l’initiative de la Russie ou s’abstenir, ou tout simplement manquer une session, comme lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a examiné une résolution après les événements de Crimée. Ma réponse est toujours simple : oui, nous nous attendons à ce que nos alliés respectent les accords des pays membres de l’OTSC sur une ligne de politique étrangère commune, mais nous comprenons aussi que le monde d’aujourd’hui est multi-facettes et multi-vectoriel et c’est pourquoi nous ne cherchons pas à interdire à quiconque d’avoir des nuances dans les approches pour le règlement de tel ou tel problème, et nous ne faisons certainement pas de chantage ni ne forçons la main à personne.

Question : Prenez le Kazakhstan et la Biélorussie, par exemple, ils sont nos partenaires de l’Union douanière, mais ils ne soutiennent pas l’embargo de la Russie sur la nourriture…

S. V. Lavrov : C’est leur droit. Oui, ils ont dit qu’ils ne se joignaient pas aux sanctions, mais ont souligné qu’ils ne permettront pas que leur territoire serve à violer les règles établies par la Russie. C’est ce qui distingue les anciennes alliances des nouvelles. Les alliances d’aujourd’hui doivent être souples. Par ailleurs, nos partenariats stratégiques ne sont pas limités à l’OTSC. Nous devons mentionner les BRICS, qui réunissent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ainsi que l’Organisation de coopération de Shanghai. Dans les deux cas, en dehors des intérêts économiques mutuels, nous parlons de pays qui partagent une vision similaire des questions fondamentales sur l’ordre mondial.

Question : Que signifie notre préparation à nous retirer unilatéralement des accords internationaux ?

S. V. Lavrov : C’est écrit dans la plupart des documents internationaux. C’est une procédure standard : en règle générale, un pays doit officiellement notifier son souhait aux autres parties du traité et aux dépositaires avec six mois d’avance. Et c’est tout. Une approche civilisée. Il peut y avoir différents traités et l’attitude envers eux peut changer. Il faut comprendre à l’avance ce que ce changement va entraîner. Lorsque les États-Unis et l’Union soviétique ont signé le Traité sur les missiles anti-balistiques au début des années 1970, tout le monde s’est rendu compte que c’était une vraie contribution à l’arrêt de la course aux armements. Si vous renoncez à la protection totale de votre territoire, vous êtes moins tenté d’attaquer un ennemi.
Et l’opposant se comporte de la même manière. Sous George W. Bush, les USA ont décidé de se retirer du traité, et je me souviens que Vladimir Poutine avait demandé à son homologue s’il était vraiment nécessaire de saper ce gage de stabilité. Bush a répondu que la défense anti-missile n’était pas dirigée contre la Russie, mais servait à contrôler l’Iran, et c’est pourquoi la Russie pouvait prendre toutes les mesures qu’elle souhaitait pour assurer sa sécurité. Si l’on remonte un peu dans le temps, Bismarck avait dit que dans l’art de la guerre, ce ne sont pas les intentions qui comptent, mais les potentiels. Autre exemple : prenez le Traité sur les forces conventionnelles en Europe. Il a été signé au moment où l’Union Soviétique et d’autres pays du pacte de Varsovie s’opposaient à l’Otan. Après la fin du bloc socialiste, le document a été changé, adapté à de nouvelles réalités. La Russie l’a ratifié, mais l’Occident a dit qu’il ne le signerait qu’après le départ de nos soldats de la paix en Transnitrie. Pourquoi donc ? Il n’en est fait aucune mention dans le traité. Résultat, le document est devenu inutile à cause du refus de l’Otan de s’y joindre.

Question : Je me demandais : est-ce que vos itinéraires ont beaucoup changé ces derniers temps ?

S. V. Lavrov : Je ne dirais pas cela. C’était Berlin avant Minsk, et Paris un peu avant. Et en ce moment, l’Afrique, un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Douchanbé, et puis New York.

Question : Quelle sera votre humeur lors de votre prochaine réunion de l’Assemblée générale des Nations unies ?

S. V. Lavrov : Je n’ai pas encore pensé à ce voyage, il y a tellement d’autres choses avant… Une session de l’Assemblée générale de l’ONU, c’est un événement familier. Un représentant de chaque pays montera sur l’estrade pour dire quelque chose.

Question : Mais l’humeur sera sûrement différente cette fois.

S. V. Lavrov : Nous écouterons d’abord, puis nous en tirerons des conclusions.

Question : Est-ce que vous avez eu des annulations de visites ces derniers temps ?

S. V. Lavrov : Les miennes n’ont pas été annulées. L’homologue japonais avait prévu de visiter Moscou en avril, mais pour des raisons techniques, il a demandé à remettre la visite à plus tard… Voilà une autre chose très surprenante : des représentants de pays qui n’ont rien à voir avec l’Union européenne et les sanctions contre la Russie disent que les ambassadeurs américains, partout, sont allés voir les autorités nationales pour leur demander de geler leurs relations avec Moscou ! N’allez pas les voir, ne les recevez pas. Est-ce normal ? D’une certaine façon, c’est assez amusant de travailler dans une situation où les Américains ont recours à ce type de méthode. Franchement, je n’aurais jamais imaginé qu’un pays généralement respectable puisse se comporter de cette façon !

Question : Est-ce que vous avez dit ça en face à John Kerry ?

S. V. Lavrov : Bien sûr, nous discutons de différentes questions avec le secrétaire d’État Américain.

Question : Vous n’êtes jamais à court de mots, Sergueï Viktorovitch. Des rumeurs secrètes prétendent qu’il y a une pierre sur l’une des rives de la rivière Katun dans le territoire de l’Altaï. Un texte gravé sur cette pierre dit qu’à cet endroit même, le ministre Lavrov a dit à son collègue britannique, Jack Straw, d’aller se faire voir. Le texte est suivi de la date.

S. V. Lavrov : Les rumeurs secrètes vous ont égaré. La pierre n’est pas sur la rive de la rivière Katun, mais dans mon sauna. Je l’ai emmenée chez moi comme souvenir. Voici ce qui s’est passé. J’étais avec d’autres personnes, principalement mes anciens camarades d’études de l’Université MGIMO [Institut d'État des relations internationales de Moscou, NDT] et comme d’habitude, nous faisions du rafting sur la rivière. Un soir, nous avons atteint une étape où bivouaquer. Nous traînons les radeaux, montons des tentes, allumons un feu pour cuire le dîner. Tout se passait comme d’habitude. Avec un téléphone satellite, j’ai appelé Moscou et demandé comment les choses se passaient en général. On m’a indiqué que Jack Straw, avec qui nous avions établi de très bonnes relations, avait demandé à être joint rapidement.
Vous savez, les batteries de téléphone ne durent pas éternellement, je devais économiser ma batterie et nous avons convenu que Londres allait me rappeler une demi-heure après. J’ai allumé mon téléphone exactement après cette période de temps. Les Britanniques m’ont appelé et dit que Straw était occupé à ce moment là. Ils m’ont demandé s’ils pouvaient me rappeler dans dix minutes. Après dix minutes la situation s’est répétée, et puis encore et encore jusqu’à ce que je demande - poliment - de dire à Jack que je ne pourrais pas parler avec lui ce soir-là. C’est tout ce dont il s’agit. Un de mes amis a entendu le dialogue et puis a laissé une interprétation très libre de tout cela gravée dans la pierre.

Question : Il semble que le représentant permanent de la Russie à l’ONU, Vitali Tchourkine, soit votre véritable compagnon en termes de capacité à s’exprimer clairement. Il est également capable d’exprimer tout très clairement.

S. V. Lavrov : Vitali est mon vieil ami. En avril 1992, nous avons tous deux été promus à des postes de vice-ministre des Affaires étrangères de Russie et depuis lors, nos chemins se sont souvent croisés. Par exemple, quand il a travaillé dans les Balkans, j’étais responsable de cette zone.

Question : Il se dit que vous avez activement essayé de convaincre Vladimir Poutine de nommer Tchourkine à l’ONU ?

S. V. Lavrov : C’était ma proposition et j’ai mis en avant des arguments en sa faveur. Compte tenu de l’importance de la position, j’ai demandé au président de recevoir Vitali avant sa nomination pour lui parler personnellement.

Question : Depuis combien de temps êtes-vous proche de Poutine ? Et comment avez-vous été nommé au poste de ministre ?

S. V. Lavrov : Nous nous sommes rencontrés à Moscou en Novembre 1999, Vladimir Vladimirovitch était à la tête du gouvernement de l’époque, et j’étais l’envoyé permanent à l’ONU. J’avais pris l’avion pour Moscou pour la visite d’un vice-premier ministre irakien, dont la réception avait eu lieu sur les berges de Krasnopresnenskaya. Elu président en 2000, Poutine est arrivé à New York pour le sommet du Millénaire. Nous nous sommes vus plus d’une fois depuis lors.
Le 6 mars 2004, j’ai reçu un coup de téléphone de la part du chef de l’administration présidentielle, Dmitri Medvedev, qui m’a invité à Moscou. Je suis parti le jour même. Le jour suivant, Vladimir Vladimirovitch m’a reçu et m’a offert le poste de ministre. Depuis, je maintiens un contact de travail permanent, pratiquement au quotidien.

Question : Quand vous menez des négociations hors de la Russie, avec quelle fréquence consultez-vous le président ?

S. V. Lavrov : Avant les voyages, je parle de la position à laquelle je compte me tenir, et après avoir reçu des instructions, je maintiens le cap qui a été décidé. Je ne vais pas révéler tous nos secrets, mais en règle générale, nous avons plusieurs options pour nos actions. Malgré tout, il y a parfois des cas essentiels où les compromis sont écartés d’office. Dans ces cas, je l’explique franchement à Vladimir Vladimirovitch. Dans les cas très sérieux, quand des textes doivent être remaniés et que leur contenu pourrait impliquer des doubles sens, je l’appelle au téléphone et je l’en informe. C’est comme ça que nous sommes arrivés à un accord sur les armes chimiques en Syrie. Le document contenait des points discutables, et de notre mission de Genève, j’appelais régulièrement le Kremlin.

Question : Je sais que vous utilisez un téléphone cellulaire. Vous différez des autres, qui préfèrent n’utiliser que des téléphones à cadrans rotatifs.

S. V. Lavrov : Mais la communication par cellulaire n’est pas appropriée pour contacter le Président et parler du travail en cours. Nous ne l’utilisons que pour les questions d’organisation, qui, où, quand…

Question : Comment est-ce qu’Edward Snowden et Julian Assange ont changé le monde d’aujourd’hui, à votre avis ?

S. V. Lavrov : Nous n’avons rien appris de fondamentalement nouveau. Si je me souviens bien, quand j’ai commencé à lire les informations révélées par Assange, je n’ai pas trouvé de révélations sur des caractéristiques personnelles de telle ou telle personnalité de l’arène mondiale, ou concernant la description des méthodes de travail utilisées par les gouvernements ou les services secrets. Nous savions déjà tout ça.

Question : Quid des mémoires d’Hillary Clinton ? Les avez-vous lues ?

S. V. Lavrov : J’ai feuilleté le livre. Il comprend un index alphabétique et j’ai cherché les sections qui parlaient de moi, de mes confrères de l’administration de l’ONU et d’un certain nombre de pays d’Europe. C’était intéressant.

Question : Le Secrétaire d’État américain précédent était très pointu dans ses descriptions de Poutine.

S. V. Lavrov : Très ! En Occident, c’est considéré comme indispensable à n’importe quel programme. Malgré tout, des opinions sensées s’expriment aussi, mais elles sont généralement le fait de diplomates et de politiciens à la retraite. Ceux qui sont employés au gouvernement ou veulent accéder à de hautes fonctions doivent se tenir à la ligne du parti et, parce qu’ils visent à appliquer le dernier agenda américain, ils font finalement de la surenchère.
Question : Vous avez dit avoir des contacts de travail permanents avec Poutine. Comment est-ce que ça marche ?

S. V. Lavrov : Nous parlons pendant les visites à l’étranger, au cours desquelles j’accompagne toujours le président, nous nous rencontrons avant de recevoir les chefs d’état étrangers en visite en Russie. Vladimir Poutine a une capacité d’écoute exceptionnelle. Ce n’est pas un compliment, ni une flatterie, mais la constatation d’un trait de caractère fondamental. Poutine offre toujours une possibilité de s’exprimer et ne recourt jamais à des ultimatums. Aucune idée sensée, susceptible d’offrir une solution constructive à un problème, que ce soit dans le domaine de l’économie ou dans le cas d’une crise comme celle de l’Ukraine, n’échappe à son attention.

Question : Vous est-il déjà arrivé de le faire changer d’avis ? On sait qu’avant la signature de l’accord nommé « Loi Dima Yakovlev », vous avez vu Poutine et avez contre-argumenté.

S. V. Lavrov : J’avais fait un rapport sur mon évaluation des aspects juridiques et les conséquences possibles après l’adoption du document. Il est entré en vigueur en décembre 2012, quelques mois plus tôt, nous avions signé à Washington un accord avec les Américains en matière d’adoption d’enfant, cela a demandé beaucoup d’efforts parce que nous avions de plus en plus de problèmes avec les enfants russes adoptés aux États-Unis qui étaient abusés, violés et même assassinés. Le Département d’État a dégagé sa responsabilité, arguant que, selon les lois américaines de tels cas relèvent de la compétence du système judiciaire de chaque état. En conséquence, nous avons obtenu l’adoption de l’accord intergouvernemental, et lors de la déclaration de Vladimir Poutine en décembre 2012, j’ai suggéré que la dénonciation ne soit pas incluse dans la loi « Dima Yakovlev » parce que j’espérais que cela nous permette de vérifier plus tôt la situation des enfants adoptés.
Tout au long de 2013, l’accord est resté en vigueur, et pour parler franchement, j’ai trouvé mon évaluation de la capacité du gouvernement américain à tenir ses engagements trop optimiste. Il n’y a eu aucun progrès sur les questions soulevées devant le Département d’État, y compris le fameux Ranch pour enfants, un orphelinat dans le Montana qui a admis des enfants abandonnés par leurs nouveaux parents américains. Au cours de trois années nous n’avons pas réussi à y aller.

Question : On dit que lors de votre confirmation au poste de ministre des Affaires étrangères, vous avez discuté avec le Président pour valider le droit de faire annuellement du rafting entre amis sur les rivières de montagne et sans gardes de sécurité. Est-ce vrai ?

S. V. Lavrov : C’est une demande qui a été soutenue par Vladimir Vladimirovitch.

Question : Avez-vous fait du rafting cette année ?

S. V. Lavrov : Début août, mais c’était court. Je n’avais pas beaucoup de temps.

Question : Est-ce que ce sont vos amis qui vous ont surnommé « l’ Élan »?

S.V.Lavrov : Le surnom m’est resté depuis mes études. Quand j’étais au MGIMO, chaque été, pendant les quatre années que j’y ai passées, je participais aux « brigades de construction étudiantes ». On a commencé en Khakassie, puis on a continué en Touva, la troisième année, on était en Extrême-Orient, et la quatrième, en Yakoutie. J’étais chef d’équipe, j’épuisais tout le monde, et c’est probablement pourquoi on m’a donné ce surnom. Je ne l’ai pas contesté.

Question : Mais avant les brigades de construction, vous creusiez déjà le sous-sol du centre de télévision.

S. V. Lavrov : Oui, avant l’entrée à l’Université, on nous envoyait à Ostankino, on creusait les fondations des bâtiments qui allaient abriter le centre de télévision.

Question : Le téléviseur dans votre bureau de la place de Smolensk n’est pas qu’un meuble, non ? Vous l’allumez ?

S. V. Lavrov : De temps en temps. Je regarde toutes les chaînes russes, CNN, BBC, et Ukraine News1.

Question : Comprenez vous l’ukrainien ?

S. V. Lavrov : Je le comprends en gros, mais pas toutes les subtilités. Littéralement et au figuré.

Question : Pratiquez-vous encore votre première langue étrangère, le cingalais ?

S. V. Lavrov : J’ai appris l’anglais à l’école. J’ai commencé le français et le cingalais au MGIMO. Je peux écrire en cingalais, mais je ne suis pas sûr de pouvoir encore le parler. Je n’ai pas eu l’occasion de le pratiquer depuis bien longtemps. Depuis mon départ du Sri Lanka en 1976, en fait.

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